La liturgie de l'Église luthérienne, par Dr. Wilbert Kreiss - index  La liturgie de l'Église luthérienne, par Dr. Wilbert Kreiss - index


 

Introduction

L'Eglise chrétienne célèbre des cultes. Elle le fait essentiellement le dimanche, en souvenir de la résurrection de son Seigneur et Roi, et les jours de fête. Le mot "culte", apparenté à celui de "culture" ou de "cultivateur", vient d'un verbe latin qui signifie à la fois travailler la terre et adorer Dieu. En fait, le culte est un service, et un service qui va dans les deux sens, celui que Dieu rend à son peuple et celui que ce dernier rend à son Dieu. Il a pour acteurs Dieu et les chrétiens. Dieu y agit par la prédication de son Evangile et dans les sacrements, ainsi que dans l'absolution et la bénédiction, offrant le salut à son peuple, l'édifiant dans la foi et le comblant de ses bienfaits. Les chrétiens quant à eux le servent par la louange, la confession de leur foi, l'adoration et la prière. Dans le culte, la proclamation de l'Evangile et l'administration des sacrements sont encadrées par des éléments liturgiques qui sont autant d'actes d'adoration.

L'Eglise luthérienne est par définition une Eglise liturgique. Cela signifie qu'elle célèbre ses cultes dans un cadre bien défini, selon un agencement précis que nous allons étudier dans ces pages. "Liturgie" vient de deux mots grecs qui signifient "service du peuple" ou "service commun". Le terme désigne tout ce qui encadre la prédication de la Parole de Dieu et l'administration de la Sainte Cène.

Dans ses Confessions de foi, l'Eglise luthérienne dit son attachement à ces formes et l'importance qu'elles revêtent pour elle. Voici ce que déclare l'Apologie de la Confession d'Augsbourg: "Parlons de la liturgie. Ce vocable ne signifie pas, à proprement parler, un sacrifice, mais bien plutôt un service public, et cadre exactement avec notre doctrine, à savoir qu'un seul ministre consacrant présente au reste du peuple le corps et le sang du Seigneur, de même qu'un seul ministre enseignant présente l'Evangile au peuple. C'est ainsi que Paul déclare: "Qu'on nous considère donc comme des serviteurs du Christ et des dispensateurs des mystères de Dieu", c'est-à-dire de l'Evangile et des sacrements (1 Corinthiens 4:1)... De la sorte, "leitourgia" correspond exactement à "ministère" (Article XXIV, 79-81). Quant à la Confession d'Augsbourg, elle précise que l'Eglise luthérienne a conservé les cérémonies et rites qui sont de nature à édifier l'Eglise et y préservent le bon ordre (Article XXIV).

Mais pourquoi une liturgie? Pour montrer la catholicité de l'Eglise. Au sens étymologique du terme, s'entend. En renonçant aux erreurs et aux fausses pratiques qui ont vu le jour au cours des siècles, l'Eglise luthérienne a voulu renouer avec l'Eglise chrétienne universelle de tous les temps. Luther et les siens ne se sont pas comportés en innovateurs sectaires, cherchant à créer une nouvelle Eglise, mais étaient désireux et heureux de confesser leur solidarité avec l'Eglise apostolique et les Pères de l'Eglise ancienne. Ils savaient que bien des coutumes héritées du passé étaient louables, riches de contenu, utiles et aptes à édifier le peuple de Dieu. Pourquoi les rejeter, sous prétexte qu'elles avaient survécu dans l'Eglise catholique romaine de leur époque? Il s'agissait là d'une richesse à laquelle ils ne voulaient pas renoncer et dont ils ne pensaient pas avoir le droit de priver l'Eglise. Ce n'était pas un bien propre au catholicisme, mais un patrimoine qui appartenait à tous les chrétiens du monde, donc aussi à ceux qu'on nommait déjà à l'époque les Luthériens.

Voici encore un texte de l'Apologie: "Au reste, les traditions anciennes, établies dans l'Eglise parce qu'elles sont profitables et qu'elles servent la paix, nous les observons de bon gré et nous les interprétons dans un sens évangélique, en excluant l'idée selon laquelle elles justifient. C'est à tort que nos ennemis nous accusent d'abolir les bonnes dispositions et la discipline de l'Eglise. En effet, nous pouvons proclamer que dans nos Eglises la liturgie est plus belle qu'elle ne l'est chez nos adversaires. A en juger correctement, nous observons les canons plus sincèrement qu'eux. Chez nos adversaires, les prêtres subalternes célèbrent les messes à contrecoeur, conduits par le salaire et, le plus souvent, en vue de ce salaire uniquement. Ils chantent les psaumes, non pas pour s'instruire ou pour prier, mais parce que c'est un rite, comme si cette oeuvre était un culte, oui, en toute certitude, à cause du salaire. Chez nous, beaucoup prennent part à la Cène du Seigneur chaque dimanche, après avoir été instruits, examinés et absous. Les enfants chantent des psaumes pour leur instruction; le peuple aussi chante, soit pour s'instruire, soit pour prier" (Article XV, 38.39).

D'autre part, l'Eglise luthérienne est une Eglise riche en liturgie, parce qu'elle est une Eglise orthodoxe. Tous ses éléments de culte sont foncièrement bibliques et ont un contenu éminemment évangélique. Sa liturgie proclame et confesse les grands dogmes de l'Ecriture, les principaux articles de la foi chrétienne, la Trinité, la personne et l'oeuvre du Christ, le péché et la grâce, etc. Autant de vérités qui s'imprègnent dans l'esprit des chrétiens lorsqu'ils confessent dimanche après dimanche le Credo ou le Symbole de Nicée, qu'ils entendent la confession des péchés et reçoivent l'absolution de la part du Seigneur, et qu'ils chantent le Kyrie, le Gloria in Excelsis, le Sanctus et l'Agnus Dei. L'année liturgique avec ses cycles de fêtes, les péricopes et tout ce qui est particulier à chaque dimanche leur permet d'entendre "tout le conseil de Dieu", l'ensemble des révélations aptes à les instruire, les exhorter et les édifier dans la foi et dans la piété. La liturgie a pour but d'orienter l'attention des croyants sur les vérités objectives et immuables de l'Ecriture Sainte plutôt que sur leurs sentiments ou leurs émotions personnels. C'est ainsi que, conformément à la volonté de l'apôtre, la Parole du Christ arrive à habiter parmi eux dans toute sa richesse et qu'ils s'exhortent en toute sagesse par des psaumes, par des hymnes, par des cantiques spirituels, chantant à Dieu dans leurs coeurs sous l'action de la grâce (Colossiens 3:16). Martin Luther écrit: "C'est à cet effet qu'ont été fondés les lieux de culte, que des heures ont été fixées, que certaines personnes ont été ordonnées, que tout le service divin a été institué et que le culte public est célébré" (Grand Catéchisme I, 94). Quant à l'Apologie, elle déclare: "Nous pensons que la véritable unité de l'Eglise n'est pas lésée par des rites dissemblables institués par des hommes. Cependant, il nous semble bon que les rites universels soient observés, et cela pour que règne la paix. C'est ainsi que, pour notre part, nous conservons de bon gré dans nos Eglises l'ordre de la messe, le jour du Seigneur et d'autres jours de fête solennels. Et nous gardons avec soin et très volontiers les dispositions anciennes et utiles, surtout quand elles renferment une valeur pédagogique qui sert à discipliner le peuple et à instruire les ignorants" (Article VII/VIII, 33).

D'autre part, si la liturgie de l'Eglise luthérienne est riche, c'est parce que son enseignement l'est. Elle prêche la Parole de Dieu dans toute sa pureté, en distinguant correctement la Loi et l'Evangile, et administre les sacrements selon l'institution du Seigneur. Ceux-ci ne sont pas pour elle de simples actes symboliques par lesquels les croyants professent leur foi et leur attachement au Christ, mais de véritables sacrements, des moyens de grâce dans lesquels Dieu agit puissamment. La doctrine luthérienne du Baptême et de la Sainte Cène est quelque chose de merveilleux. Sa richesse trouve tout naturellement son reflet dans sa liturgie, selon le principe suivant: "Lex orandi, lex credendi", "on croit comme on prie", ce qui signifie que le culte avec sa liturgie est le miroir qui reflète ce que l'Eglise enseigne, croit et confesse.

Enfin, l'Eglise luthérienne est une Eglise à caractère liturgique, parce qu'elle n'est pas une secte rejetant tout ce qui n'est pas le produit d'elle-même, mais qu'elle confesse sa foi en l'Eglise universelle et qu'elle entend conserver tout ce que cette Eglise a produit de beau et d'édifiant au cours des siècles. Luther et ses collaborateurs ont eu pour principe de renouer avec l'Eglise telle qu'elle professait sa foi et adorait Dieu à l'époque où hérésies et fausses doctrines et pratiques n'avaient pas encore altéré son message et son culte. Ils rejetèrent impitoyablement tout ce qui dans l'enseignement et la vie de l'Eglise de leur époque était contraire à l'Ecriture Sainte, mais ne rejetèrent que cela. D'où la richesse liturgique de l'Eglise issue de la Réforme luthérienne, centrée notamment sur une doctrine biblique et riche des sacrements.

La liturgie est donc par définition quelque chose de solennel et de beau, comme doit être beau le lieu où l'Eglise célèbre son culte. Pas nécessairement riche, mais beau, dans toute sa sobriété, et empreint de dignité. C'est la maison du Seigneur, un lieu saint où tout doit contribuer à la gloire de Dieu et à l'édification de son peuple. S'il faut y éviter tout ce qui nuit à la méditation et l'adoration, il est juste que tous les dons artistiques que le Seigneur accorde aux hommes soient mis au service du culte. Il y a dans toute église luthérienne un autel sur lequel l'Eglise apporte à Dieu le sacrifice d'action de grâces qu'est l'eucharistiet distribue aux communiants le corps et le sang du Christ. Cet autel est surmonté d'un crucifix représentant le divin Rédempteur. Des cierges rappellent qu'il est la lumière du monde. La chaire est l'endroit où le serviteur de Dieu annonce le saint Evangile. Un pupitre lui permet de procéder aux lectures bibliques, et les fonts baptismaux, bien en vue, rappellent que c'est par le sacrement du Baptême qu'on entre dans l'Eglise chrétienne, qu'on devient enfant de Dieu et héritier de la vie éternelle. Des couleurs liturgiques situent chaque dimanche dans l'année. Quant à l'officiant, il porte des vêtements liturgiques attestant qu'il agit non en son nom personnel, mais à la demande et au nom du Seigneur. L'orgue est par excellence l'instrument chargé d'accompagner le champ de l'assemblée, mais l'Eglise luthérienne conçoit très bien que d'autres instruments viennent le remplacer dans d'autres formes de cultes. Seul ce qui fait l'objet d'une révélation divine dans la Bible peut et doit être imposé au peuple de Dieu. Les adiaphora sont des coutumes et des rites qui ne sont ni prescrits ni interdits par l'Ecriture Sainte. Dans ce domaine doit régner la liberté chrétienne. L'Eglise luthérienne s'interdit donc en matière de culte tout dogmatisme et tout légalisme, exigeant simplement qu'il soit festif et digne, que tout ce qui s'y dit et fait soit conforme à la Parole de Dieu et de nature à édifier l'assemblée. Elle n'a pas d'autre règle que cela, mais elle entend aussi ne pas renoncer à tout ce qui fait la richesse et la beauté du culte. En un mot, l'Eglise luthérienne se reconnaît aussi bien à son enseignement qu'à son culte.

 


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28-octobre-2001, Rev. David Milette.