COMMENTAIRE SUR MICHÉE, par Dr. Wilbert Kreiss - index  COMMENTAIRE SUR MICHÉE, par Dr. Wilbert Kreiss - index


 

INTRODUCTION (1:1)

Michée fut, après Amos, Osée et Esaïe, le dernier des quatre grands prophètes du VIII° siècle av. J.-C. Ce premier verset de son livre le situe dans le temps. Un peu d'histoire s'impose donc et permettra de mieux comprendre le message dont Dieu l'a chargé.

C'est sous le règne de Yotham, Ahaz et Ezéchias, rois de Juda, qu'il exerça son ministère. Le peuple d'Israël était constitué à l'origine de douze tribus qui s'étaient partagé le pays de Canaan. David en avait été le premier souverain, mais les difficultés qu'il avait connues pendant les dernières années de son règne et notamment la tentative de révolte d'Absalom montrent que l'unification de ces tribus était chose assez fragile. Salomon, son fils, mena une politique de prestige qui coûta énormément d'argent et suscita bien des mécontentements. Son fils Roboam (931-913 av. J.-C.), au lieu d'écouter les sages conseils des anciens, d'accéder aux doléances du peuple et de réduire taxes et impôts, préféra suivre l'avis insensé de quelques amis de son âge et les augmenta. Ce fut le signal du schisme. Sur les douze tribus, dix situées au nord du pays et ne voulant pas de la dynastie de David, firent sécession et se donnèrent comme roi Jéroboam I (931-910 av. J.-C.), ancien fonctionnaire de Salomon chargé de surveiller les chantiers du roi. A partir de ce jour, il y eut en Palestine deux royaumes, celui du nord constitué des dix tribus et appelé généralement Royaume d'Israël, et celui du sud, le Royaume de Juda formé par Juda et Benjamin, fidèles tous les deux à la dynastie davidique à laquelle Dieu avait confié la royauté. Tel est le châtiment dont fut frappé Salomon en raison de ses désobéissances (1 Rois 11:11-13).

Les deux royaumes souvent engagés dans une lutte fratricide rivalisèrent d'infidélité, suscitant la colère et les châtiments de Dieu. La corruption progressa cependant plus vite dans le Royaume du Nord que dans celui du Sud. Ce dernier avait Jérusalem pour capitale et le temple comme centre de ralliement religieux où officiaient des sacrificateurs issus de la famille d'Aaron à qui Dieu avait confié cette charge. Dans le Royaume du Nord, le déclin fut plus rapide. Jéroboam avait choisi Sichem pour capitale, puis l'avait transférée à Thirtsa (1 Rois 14:17; 15:21.33; 16:8). Connaissant l'attachement du peuple à Jérusalem et craignant qu'il ne fût préjudiciable à la cohésion de son royaume, il décida de bâtir deux sanctuaires aux confins de son territoire, au nord à Dan et au sud à Béthel. Il y fit ériger des veaux d'or, vestiges du culte égyptien de Memphis et d'un culte cananéen de la fertilité, et établit des sacrificateurs étrangers à la maison d'Aaron, pour s'occuper des hauts lieux. C'est ainsi que l'idolâtrie fut officiellement introduite dans son royaume.

Bien des années se sont écoulées. Dans le Royaume du Nord, une dynastie a succédé à l'autre. Celle de Jéroboam I régna de 922 à 900 av. J.-C., quand Nadab, le fils de Jéroboam I, fut tué par Baescha et que tous les héritiers du trône furent massacrés. La dynastie de Baescha s'éteignit en 876 et fut remplacée par celle d'Omri (876-842 av. J.-C.) qui fit de Samarie la capitale définitive du royaume. La dernière dynastie à accéder au trône fut celle de Jéhu et de ses successeurs qui régnèrent jusqu'à la chute de Samarie en 722.

Elie et Elisée préparèrent le chemin aux grands prophètes du VIII° siècle, Amos et Osée dans le Royaume du Nord, Esaïe et Michée dans le Royaume du Sud. L'idolâtrie s'était répandue en Israël, et aucune des purges menées par Jéhu n'avait eu raison d'elle. Jéroboam II (786-746 av. J.-C.) connut un règne long, prestigieux et prospère, qui lui permit de réconquérir des territoires perdus par ses prédécesseurs. Juda vécut une renaissance similaire sous le règne d'Ozias (783-742 av. J.-C.). Les deux souverains parvinrent à rendre pratiquement aux deux royaumes les frontières qui étaient celles d'Israël sous les règnes de David et de Salomon. Mais l'époque fut marquée par bien des injustices sociales, et Amos et Osée durent dénoncer dans le Royaume du Nord, et Esaïe et Michée dans le Royaume du Sud, les injustices et l'immoralité qui accompagnaient la prospérité reconquise. Il y avait à l'époque les signes extérieurs d'une grande activité religieuse, mais cette façade n'empêchait pas la croissance de l'injustice et de l'immoralité. Sur les hauts lieux érigés ici et là, on rendait un culte à la fois au Dieu d'Israël et à l'une ou l'autre des divinités païennes, notamment Baal (1 Rois 18:21; 2 Rois 17:28-33). On pensait qu'il était utile d'adjoindre à Dieu une divinité avec son culte particulier. Deux sécurités valent mieux qu'une! Et cela d'autant plus que si Yahvé revendiquait la seigneurie sur toutes choses (un Dieu généraliste, en quelque sorte!), les divinités païennes avaient l'avantage d'exercer une spécialité: la pluie, la fécondité des champs ou celle des troupeaux, le succès dans les entreprises commerciales ou militaires, etc. Baal et Astarté étaient les divinités préposées à la fécondité de la terre et des animaux, dispensatrices de saisons fertiles, qui mettaient fin aux sécheresses et amenaient les pluies bienfaisantes. Ajoutons à cela des rites de prostitution sacrée chargés de symboliser la fécondation de la terre, auxquels on se livrait pour vénérer dieux et déesses. Façon de joindre l'utile à l'agréable...

Au déclin religieux et moral s'ajouta l'affaiblissement politique. Régicides et guerres civiles marquèrent les années qui suivirent la mort de Jéroboam II. Son fils Zacharie fut assassiné par Schallum après six mois de règne (746-745 av. J.-C.), lequel le fut, un mois plus tard, par Menahem (745). Pendant ce temps, Tiglat-Piléser III, appelé encore Pul (745-727 av. J.-C.), établit l'hégémonie de l'Assyrie en lançant des expéditions militaires à l'ouest, en Syrie et en Canaan, et en assujettissant ces pays à de lourds tributs de guerre. Et quand des pays soumis se révoltaient, il en déportait la population et faisait d'eux des provinces de son empire.

L'anarchie régnant dans le Royaume du Nord en fit une proie facile pour le monarque assyrien. Pour se libérer de son joug, Pékach de Samarie (737-732 av. J.-C.) conclut une alliance avec Retsin de Damas (740-732 av. J.-C.). Les deux rois souhaitaient l'appui de Juda, mais Jotham (742-735 av. J.-C.) s'y refusa. De même son fils et successeur Achaz. Ce dernier prit l'argent et l'or du temple et l'envoya à Tiglat-Piléser pour s'assurer un soutien contre ses agresseurs, Israël et la Syrie. L'empereur assyrien répondit à l'appel de Juda et occupa la Galilée et la Transjordanie (733), déporta une partie de la population (2 Rois 15:29) et divisa le territoire en trois provinces. Dans le Royaume du Nord, Osée fit mourir Pékach, monta sur le trône et paya un tribut à Tiglat-Piléser pour arrêter la destruction d'Israël. Damas fut vaincu et Retsin exécuté en 732 av. J.-C. Israël avait payé cher sa rébellion contre l'Assyrie...

Osée (732-724 av. J.-C.) fut pendant tout son règne un vassal de cet empire. Quand Salmanasar V (727-722 av. J.-C.) succéda à Tiglat-Piléser, il refusa de continuer de payer le tribut et se tourna vers l'Egypte. Bien mal lui en prit. L'Egypte était à cette époque un roseau bien fragile, incapable de protéger Israël, en qui il était vain de mettre sa confiance, comme les prophètes ne cessèrent de le répéter. Mais on ne voulut pas les écouter. Salmanasar V attaqua donc son vassal Osée en 724 av. J.-C. et le fit prisonnier. Tout le Royaume du Nord fut occupé par les armées assyriennes, à l'exception de la capitale Samarie qui leur tint tête pendant près de trois ans. Salmanasar V mourut, et il appartint à son successeur, son frère Sargon II (722-705 av. J.-C.), de s'emparer de la ville et de la conquérir. Ce fut la fin du Royaume du Nord. Les dix tribus du nord furent déportées dans leur grande majorité vers la haute et moyenne Mésopotamie et perdirent à jamais leur identité nationale (2 Rois 17:1-6). On les remplaça en Canaan par des "gens de Babylone, de Cutha, d'Avva, de Hamath et de Sepharvaïm" (2 Rois 17:24).

Le Royaume de Juda bénéficia d'un sursis de plus de 100 ans, mais pour lui aussi vint le jour où Dieu le châtia pour ses infidélités. Soulèvements et représailles se succédèrent dans le sud du pays de Canaan. En 720 av. J.-C., Sargon II déporta le roi Hanno de Gaza qui complotait contre lui avec un général égyptien. En 711, le roi Ahimiti d'Asdod, mis en place par Sargon II, est chassé par la population qui se donne pour chef un roturier, un grec du nom de Jamlani. Soutenu par l'Egypte, celui-ci forme avec la Philistie, Juda, Edom et Moab une coalition contre l'Assyrie. Sargon II se fâcha et mena une expédition punitive contre ces royaumes. Mais on se révolta ici et là, refusant de payer le tribut de guerre imposé par Ninive.

En 705 av. J.-C., Sargon II est assassiné. Son fils Sanchérib (appelé encore Sennachérib) lui succéda. Ce changement de monarque suscita de nouveaux soulèvements. Alors Sanchérib se rendit en Canaan et s'empara de 46 villes de Juda qu'il annexa aux territoires des rois d'Asdod, d'Eqron et de Gaza qui lui étaient restés fidèles. Une de ces villes de Juda, Lakish, subit un siège mémorable (2 Rois 18:7; 19:8; Michée 1:13). Ezéchias, roi pieux et dévoué à Yahvé, fut contraint au paiement d'un énorme tribut de guerre prélevé sur le trésor royal et celui du temple (2 Rois 18:13-16). C'est sans doute de cette campagne militaire de Sanchérib que date le siège manqué de Jérusalem (714 av. J.-C.), qui fut arrêté par une plaie soudaine frappant les troupes assyriennes et tuant 185.000 hommes (2 Rois 19:35.36). Plus tard, Nebucadnetsar de Babylone (605-562 av. J.-C.) viendra assiéger la ville, s'emparera des trésors du temple et du palais, emmènera Jojakin et la reine-mère prisonniers à Babylone et déportera environ 10.000 de ses habitants les plus valeureux (597 av. J.-C.). Neuf ans plus tard, sous le règne de Sédécias, oncle de Jojakin et troisième fils de Josias, il reviendra, livrera à Jérusalem, pendant dix-huit mois, un siège terrible qui aura raison de la ville et déportera le restant de ses habitants (588-586 av. J.-C.). Ce sera l'exil à Babylone, mais un exil limité dans le temps, auquel mettra fin un édit de Cyrus de Perse (538 av. J.-C.). Soixante-dix ans séparent la destruction du temple en 587 av. J.-C. et sa restauration en 516/515 av. J.-C. (2 Chroniques 36:21; Jérémie 29:10). A la différence d'Israël, en effet, Juda est porteur d'une promesse. Le Messie, fils de David, doit venir, et pour ce faire, il faut que Juda conserve ou plutôt retrouve son identité nationale.

Mais nous n'en sommes pas encore là. Michée vit dans la deuxième moitié du VIII° siècle av. J.-C. C'est au beau milieu de ces événements que se situe son ministère. Il faut les connaître, avec leurs nombreuses péripéties politiques et militaires, pour bien comprendre son action et son message.

"Voici les paroles que l'Eternel a adressées à Michée de Morécheth, sous les règnes de Yotham, Ahaz et Ezéchias, rois de Juda. Cette révélation reçue par Michée concerne les villes de Samarie et de Jérusalem" (1:1)

Michée:

"Mîkâh" en hébreu, ce qui est une abréviation de "Mîkâ'él", "qui est comme Dieu?", ou de "Mîkâyahû", "qui est comme Yahvé?"

Michée est originaire de Morécheth, petit village près de Gat, dans la Shéphélah, la plaine fertile des Philistins. C'est donc un rural, comme Amos que Dieu alla chercher derrière ses troupeaux, et non un citadin lettré et remarqué, voire un noble comme Esaïe. Il fait partie des "petites gens", ce qui explique partiellement la sévérité dont il fait preuve à l'égard du gratin de Juda, hommes politiques, dirigeants militaires, clergé, commerçants, usuriers et autres exploitants et exploiteurs de son temps. Beaucoup de ses invectives ont leur parallèle chez son contemporain Esaïe. Il oeuvre lui aussi à Jérusalem sous les règnes de Yotham ou Jotham (750-732 av. J.-C.), Ahaz ou Achaz (735-715 av. J.-C.) et Ezéchias qui, pendant des années, partagea le pouvoir avec son père (728-693 av. J.-C.).

Le 1° verset du livre fournit trois points de repère historiques. Il se réfère donc à une histoire précise et ne peut être compris sans elle. D'autre part, le prophète Michée s'adresse à ceux qui font l'histoire de son époque. Il a un message pour ses contemporains. Dans son livren, il y a des prédictions concernant l'avenir, mais elles ne sont pas l'élément dominant de son ministère et ne l'empêchent pas d'être solidement ancré dans son présent. Son livre est dur et souvent terrible; il fustige sans merci et de façon intransigeante un roi et un peuple rebelles. Et il n'a pas été censuré par Israël! Le peuple l'a, malgré ses reproches, ses accusations et ses dénonciations impitoyables, accueilli dans son canon, au nombre de ses livres sacrés, car il savait que Dieu avait parlé par son prophète. Le fait que les oracles de Michée concernent les villes de Samarie et de Jérusalem montre qu'ils ont été prononcés avant 722 av. J.-C., date fatidique qui vit la chute de la capitale du Royaume du Nord.

 

Plan du livre

1) Jugement de Samarie (1:2-7).

2) Jugement de Juda (1:8-16).

3) Dénonciation de l'injustice sociale (2:1-13):

4) Contre les chefs du peuple, jugement de Jérusalem (3:1-12):

5) Le glorieux avenir de Sion (4:1-5:14).

6) Dénonciation et châtiment de l'injustice sociale, de la tricherie et de la fraude (6:1-16).

7) Péché, châtiment et pardon (7:1-20)

 


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13-février-2001, Rev. David Milette.