COMMENTAIRE SUR L'APOCALYPSE DE JEAN, par Dr. Wilbert Kreiss - index  COMMENTAIRE SUR L'APOCALYPSE DE JEAN, par Dr. Wilbert Kreiss - index


 

Troisième vision: LES SEPT TROMPETTES (chapitres 8:1-11:19)

 

Ouverture du septième sceau :


Quand il ouvrit le septième sceau, il y eut dans le ciel un silence d'environ une demi-heure. Et je vis les sept anges qui se tiennent devant Dieu, et sept trompettes leur furent données. Et un autre ange vint, et il se tint sur l'autel, ayant un encensoir d'or; on lui donna beaucoup de parfums, afin qu'il les offrît, avec les prières de tous les saints, sur l'autel d'or qui est devant le trône. La fumée des parfums monta, avec les prières des saints, de la main de l'ange devant Dieu. Et l'ange prit l'encensoir, le remplit du feu de l'autel, et le jeta sur la terre. Et il y eut des voix, des tonnerres, des éclairs, et un tremblement de terre. Et les sept anges qui avaient les sept trompettes se préparèrent à en sonner (Apocalypse 8:1-6).

L'ouverture du septième sceau n'introduit pas la fin tant attendue, mais une nouvelle série de visions qui couvrent, elles aussi, de façon cyclique toute la période de l'Eglise allant de l'ascension du Christ à son retour en gloire. Des épreuves plus grandes encore attendent le peuple de Dieu. Il faut le prévenir pour qu'il puisse y faire face. La sonnerie des sept trompettes annonce des tribulations et assortit ces prédictions de mises en garde et d'appels à la repentance. Ces tribulations frappent tout d'abord l'univers, le monde matériel dans lequel vivent les hommes, puis sont suivies d'épreuves de type spirituel et d'origine démoniaque.

Un interlude entre la sixième et la septième trompette donne au peuple de Dieu l'assurance que le Seigneur accomplit ses desseins au milieu des désordres de ce monde. Le gouvernail ne lui échappe pas, il tient la barre et sait diriger son vaisseau de façon à exécuter son plan. Les puissances infernales ne remportent pas de victoire durable, mais leur action est contrôlée par Dieu et son Christ qui gouvernent l'univers tout entier.

Un silence d'environ une demi-heure :

On ne nous dit pas ce qu'était le contenu du septième sceau, mais nous apprenons que son ouverture fut suivie d'un silence d'environ une demi-heure. Que représente ce silence? Certains ont pensé au repos de la vie éternelle. Mais cette demi-heure, cette fraction d'heure ne peut guère symboliser l'éternité. Une fraction de quelque chose n'exprime pas l'infinité. Certains commentateurs ont pensé au silence qui remplissait le temple au moment de la prière, à l'heure où on apportait à Dieu, le soir, l'offrande du parfum (Luc 1:10). Il semble que le contenu du septième sceau n'ait pas encore été révélé à l'auteur de l'Apocalypse. Cela lui sera communiqué par la suite. Ce silence d'une demi-heure pourrait donc très bien exprimer le suspense : ce qui va suivre aura des conséquences énormes, incalculables qui laissent surpris et perplexe. A moins que ce ne soit le silence qui marque certains moments du culte. Le silence liturgique est un silence d'adoration. C'est l'acte par lequel l'adorateur se prépare à entendre la voix de son Dieu, l'acte qui introduit l'instant où Dieu va parler parce que l'homme n'a plus rien à dire. Ce silence dont quelqu'un disait qu'il était l'ami de Dieu.

Sept trompettes :

Les trompettes étaient dans l'Antiquité beaucoup plus des instruments de ralliement que de musique. Elles résonnaient dans le temple pour convier le peuple à l'adoration, et sur le champ de bataille pour appeler au combat. Chez les prophètes et dans le Nouveau Testament, la sonnerie de trompettes signale le jugement final (Joël 2:1; Sophonie 1:16), le retour du Christ et la résurrection des morts (Matthieu 24:31; 1 Corinthiens 15:52; 1 Thessaloniciens 4:16).

Sept anges se tiennent devant Dieu tels des serviteurs (1 Rois 17:1; 18:15; 2 Rois 3:14). Ils sont peut-être la contrepartie des sept anges des sept Eglises d'Asie Mineure auxquelles s'est adressé le Christ dans les chapitres 2 et 3. Sept, rappelons-le, est le chiffre divin. Dieu donne à ces sept anges sept trompettes. Nous avons déjà vu que ce geste qui consiste à donner quelque chose à quelqu'un est très significatif dans l'Apocalypse. Il signifie ici que si des anges sont les agents des délivrances et jugements divins, ceux-ci sont bel et bien des délivrances et jugements qui viennent de Dieu.

Ces trompettes retentiront plus tard, l'une après l'autre. Ce ne sont donc pas des instruments liturgiques destinés à louer Dieu. On sonnait de la trompette en Israël, le premier jour du mois Tishri (septième du calendrier judaïque), pour annoncer qu'avait commencé le temps de la repentance qui culminait le dixième jour du mois dans la fête du Grand Pardon. Les rabbins avaient l'habitude de voir dans cette période de dix jours une préfiguration du jour de l'Eternel et du jugement final. C'est sans doute la raison pour laquelle des trompettes sont associées dans le Nouveau Testament au retour du Christ pour le jugement (Matthieu 24:31; 1 Thessaloniciens 4:16.17).

Encensoir d'or..., parfums..., prières de tous les saints..., l'autel d'or :

Apocalypse 5:8 nous avait montré les quatre êtres vivants et les vingt-quatre vieillards tenant dans leurs mains des coupes remplies de parfums qui sont les prières des saints. La vision de notre texte rappelle la même vérité, à savoir que les anges font monter vers Dieu les prières des croyants. Jean voit sept anges tenant sept trompettes. Avant qu'ils ne jouent de leur instrument, un autre ange apparaît et se tient près de l'autel (et non pas «sur l'autel» comme l'affirme la traduction de Segond). Il tient un encensoir d'or dans la main. Les parfums qui brûlent dans l'ustensile sont les prières qui montent vers le ciel et dégagent une odeur qui plaît au Seigneur. Ce geste cultuel pratiqué dans l'Ancien Testament (Exode 30:7.8; Lévitique 16:12.13) est l'image des prières des saints, c'est-à-dire des enfants de Dieu rachetés et justifiés, qui sont autant d'offrandes agréables à Dieu parce que l'expression de leur foi, de leur amour et de leur obéissance. Nous sommes par la foi des saints, nous que tant de choses voudraient accuser devant le trône de Dieu, car l'Agneau divin nous a purifiés par son sang. Aussi pouvons-nous avoir la certitude que le Seigneur prend plaisir à nos prières. Elles montent jusqu'à son trône; il les écoute d'une oreille favorable et y répond dans sa miséricorde.

Faire monter vers Dieu les prières de ses enfants est un des nombreux services que les anges rendent aux chrétiens. En cela aussi ils sont des «esprits au service de Dieu, envoyés pour exercer un ministère en faveur de ceux qui doivent hériter du salut» (Hébreux 1:14). C'est une belle promesse faite aux chrétiens : leurs prières montent tel un parfum jusqu'à Dieu. Les anges y veillent. C'est donc une exhortation à persévérer dans la prière fervente, à dire avec le roi David : «Eternel, je t'invoque : viens en hâte auprès de moi! Prête l'oreille à ma voix quand je t'invoque! Que ma prière soit devant ta face comme l'encens et l'élévation de mes mains comme l'offrande du soir!» (Psaume 141:1.2).

Un autre ange vint..., ayant un encensoir d'or :

Ce n'est pas l'un des sept anges tenant des trompettes, mais un «autre ange». Il accomplit des gestes sacerdotaux, dirige le culte, offre des parfums et, avec eux, les prières des saints. Cet ange a une fonction médiatrice. Il s'agit peut-être du Christ, Souverain Sacrificateur et Médiateur de la nouvelle alliance qui officie dans le Saint des saints (Hébreux 8:1.2). La fumée de l'encens qu'il brûle sur l'autel fait monter vers Dieu les prières des saints : «Que ma prière soit devant ta face comme l'encens, et l'élévation de mes mains comme l'offrande du soir!» (Psaume 141:2). Mais c'est le Christ au nom de qui nos prières sont prononcées qui les fait monter vers Dieu. C'est lui qui nous a mérité l'exaucement divin en nous réconciliant avec son Père. C'est lui aussi qui intercède pour nous.

L'arche de l'alliance recouverte du couvercle du propitiatoire et située dans le Saint des saints représentait le trône de Dieu. A l'époque du Christ, elle n'existait plus. Une pierre marquait l'endroit où elle avait été placée. Le Saint des saints était plongé dans l'obscurité, et sur cette pierre il y avait un encensoir dans lequel brûlait de l'encens. Dans le temple céleste, par contre, tout est lumière, car le Christ, lumière du monde, y officie en faveur des siens.

L'ange prit l'encensoir, le remplit du feu de l'autel et le jeta sur la terre :

Au moment où il accomplit ce geste, il y eut des voix, des coups de tonnerre, des éclairs et un tremblement de terre. On se croirait au mont Sinaï, à l'instant où Dieu manifesta sa gloire à son peuple. Les tribulations des derniers temps par lesquelles Dieu juge ce monde impie et l'appelle à la repentance sont, bien sûr, une épreuve pour les chrétiens. Elles sont destinées aux incroyants et non aux enfants de Dieu. Cependant la vision de notre texte les présente en même temps comme l'exaucement de leurs prières. Elles sortent de l'encensoir que l'ange tient dans sa main et qui contient les prières des saints. Impuissants devant leurs ennemis, ceux-ci demandent au Seigneur de les venger en châtiant ceux qui leur veulent du mal. Ainsi les fléaux naturels dont Dieu frappe ce monde sont le résultat de l'exaucement direct ou indirect des prières qui montent vers son trône.

 

La première trompette :


Le premier sonna de la trompette. Et il y eut de la grêle et du feu mêlés de sang, qui furent jetés sur la terre; et le tiers de la terre fut brûlé, et le tiers des arbres fut brûlé, et toute herbe verte fut brûlée (Apocalypse 8:7).

L'ouverture des sept sceaux (Apocalypse 6:1-8:1) avait été encadrée de liturgies célestes. La sonnerie des sept trompettes le sera aussi (Apocalypse 8:1-5; 11:15-19). Aux sept trompettes succédera dans l'Apocalypse la vision des sept coupes de la colère divine qui se déverseront sur la terre. Les deux tableaux, trompettes et coupes, rappellent les plaies d'Egypte. Que tous ceux qui ont des oreilles pour entendre sachent que Dieu exécute ses jugements pour délivrer son peuple! Les plaies d'Egypte avaient épargné les enfants d'Israël. Elles avaient pour mission de briser le coeur de pharaon pour qu'il laisse partir le peuple de Dieu. C'est ainsi que les trompettes annoncent des jugements imminents et sont de pressants appels à la repentance. Seul un tiers du monde sera frappé. Les châtiments divins sont donc des avertissements concernant ce qui attend l'humanité si elle ne se repent pas, un peu comme toute maladie veut nous rappeler que nous devrons mourir un jour.

Le premier ange sonna de la trompette :

C'est un rappel de la septième plaie d'Egypte (Exode 9:13-35). Un mélange de grêle, de feu et de sang détruisit un tiers de la terre, anéantit un tiers des arbres et brûla toute l'herbe. On songe à la couche d'ozone menacée par les gaz, à Tchernobyl, aux pluies acides, à tout ce qui détruit l'environnement dans lequel vivent les hommes. Pour comprendre le sens de cette plaie, il faut tenir compte du contexte. Nous y reviendrons sous peu.

 

La deuxième trompette :


Le second ange sonna de la trompette. Et quelque chose comme une grande montagne embrasée par le feu fut jeté dans la mer; et le tiers de la mer devint du sang, et le tiers des créatures qui étaient dans la mer et qui avaient vie mourut, et le tiers des navires périt (Apocalypse 8:8.9).

Le second ange sonna de la trompette :

Cf. la première plaie d'Egypte qui transforma en sang l'eau du Nil, faisant périr tous les poissons et interdisant aux habitants du pays d'en boire (Exode 7:14-25). Cette fois, ce n'est plus simplement du feu, mais toute une montagne embrasée qui est jetée dans la mer, transformant un tiers de son eau en sang et faisant périr un tiers des animaux marins et des navires. Dans la plaie annoncée par la première trompette, seule la nature eut à souffrir. L'humanité était épargnée. Dans cette deuxième plaie périrent des hommes, tout au moins les équipages et les passagers des navires. C'est aussi l'annonce de graves problèmes économiques, car le jugement frappe la mer et fait périr de nombreux bateaux. On n'oubliera pas que la mer Méditerranée était le moyen qui avait permis à l'empire romain de conquérir le monde et de se livrer à un commerce florissant.

 

La troisième trompette :


Le troisième ange sonna de la trompette. Et il tomba du ciel une grande étoile ardente comme un flambeau; et elle tomba sur le tiers des fleuves et sur les sources des eaux. Le nom de cette étoile est Absinthe; et le tiers des eaux fut changé en absinthe, et beaucoup d'hommes moururent par les eaux, parce qu'elles étaient devenues amères (Apocalypse 8:10.11).

Le troisième ange sonna de la trompette :

La chute d'une étoile fait écho à la chute de l'empereur de Babylone que le prophète Esaïe célèbre en ces termes: «Te voilà tombé du ciel, astre brillant, fils de l'aurore! Tu es abattu à terre, toi, le vainqueur des nations!» (Esaïe 14:12). Une étoile embrasée tombe sur un tiers des fleuves et des sources d'eau. Elle s'appelle Absinthe, du nom d'une plante amère et vénéneuse (Deutéronome 29:18). Au sens figuré, le terme désigne l'amertume d'une grande souffrance, d'un terrible châtiment (Jérémie 9:15; 23:15; Lamentations 3:15.19). L'étoile en tombant dans les fleuves et les rivières empoisonne leur eau. Cette fois-ci beaucoup d'hommes meurent, car leur réserve d'eau potable est polluée. Mais ce jugement n'affecte lui aussi qu'une partie de l'humanité. Il signifie que les puissances de ce monde bâties sur l'idolâtrie et l'injustice portent en elles le germe de leur propre destruction (Jérémie 9:15). On notera que cette troisième plaie n'a pas de parallèle dans les plaies d'Egypte ni dans la vision des sept coupes de la colère divine.

 

La quatrième trompette :


Le quatrième ange sonna de la trompette. Et le tiers du soleil fut frappé, et le tiers de la lune, et le tiers des étoiles, afin que le tiers en fût obscurci, et que le jour perdît un tiers de sa clarté, et la nuit de même. Je regardai, et j'entendis un aigle qui volait au milieu du ciel, disant d'une voix forte: Malheur, malheur, malheur aux habitants de la terre, à cause des autres sons de la trompette des trois anges qui vont sonner! (Apocalypse 8:12.13).

Le quatrième ange sonna de la trompette :

Un tiers du soleil, de la lune et des étoiles est frappé et ne dispense plus de lumière. De ce fait, la lumière du jour et la clarté de la nuit diminuent d'un tiers, affectant la faune et la flore, en particulier la vie des animaux et des hommes. C'est une répétition de la neuvième plaie d'Egypte (Exode 10:21-23). L'obscurité rappelle le chaos primitif (Genèse 1:2) et symbolise l'activité des puissances démoniaques. Etre dans les ténèbres, c'est être sans Dieu, dans le royaume de celui qui est le prince des ténèbres, Satan.

Voilà donc les plaies déclenchées par les quatre anges sonnant de la trompette. Quel en est le sens? Que disent-elles du destin qui attend les hommes? Certains commentateurs voient en elles une répétition ou une présentation nouvelle des plaies dévoilées par l'ouverture du quatrième sceau, la mort montant un cheval verdâtre qui fait périr les hommes par l'épée, la famine, les épidémies et les bêtes sauvages (Apocalypse 6:7.8). Ce n'est pas convaincant. Il semble qu'il s'agisse de plaies différentes. Et de plaies qui ne constituent pas des catastrophes naturelles, mais qu'il faut interpréter autrement, à moins de se livrer à une interprétation littérale et d'admettre qu'un jour, avant la fin du monde, une montagne embrasée tombera effectivement du ciel et transformera en sang le tiers des mers et des océans, qu'un tiers des créatures maritimes et des navires périra, qu'une étoile empoisonnera effectivement le tiers des fleuves de la terre, que le tiers du soleil, de la lune et des étoiles sera frappé d'obscurité, etc.

Une telle interprétation ne paraît pas vraisemblable. Elle ne tient pas non plus compte d'un point commun aux quatre fléaux décrits et qui semble significatif. Ces plaies ont en effet ceci de commun qu'elles proviennent toutes les quatre du ciel, qu'il s'agisse de la grêle mêlée de feu et de sang, de la montagne embrasée, de l'étoile tombant d'en haut ou de l'obscurité partielle frappant tous les astres et étoiles. Et comme le ciel est le domaine de l'invisible, de nombreux commentateurs ont vu dans ces plaies la description imagée de fléaux spirituels, de fausses doctrines qui menacent de détruire l'Eglise. Il est vrai que les mensonges répandus par les faux prophètes et les faux Christs sont l'oeuvre des dominations et autorités que la Bible appelle les princes de la puissance des ténèbres, les esprits méchants dans les lieux célestes (Ephésiens 6:12), contre lesquels les chrétiens doivent se défendre au risque de perdre la foi et de périr. Et nous savons que les fausses doctrines font partie du cortège des signes de la fin des temps. Jésus a été on ne peut plus formel à ce sujet (Matthieu 24:11.23-28). Ainsi il est peut-être permis de voir dans ces quatre premiers fléaux la description globale, empruntée pour une grande part au récit des plaies d'Egypte, des tentations, séductions, erreurs et fausses doctrines qui ont pour auteurs les dominations, les autorités et les esprits démoniaques, créatures angéliques déchues de leur dignité qui, originaires du ciel, sévissent sur terre, dans le monde et dans l'Eglise.

D'autres commentateurs ont cru pouvoir aller plus loin et ont cherché à identifier l'hérésie particulière illustrée par chacune de ces quatre plaies. Ils ont vu par exemple dans la grêle mêlée de feu et de sang les puissances du mensonge en général, dans l'étoile tombant du ciel l'annonce de la venue au IV siècle du grand hérétique Arius qui niait la divinité du Christ et fit bien des ravages dans l'Eglise chrétienne, ou une référence à l'eschatologie iranienne ou mandéenne, ou encore l'hérésie de Pélage, pour ne pas parler de l'invasion du Hun Attila. Enfin, l'obscurcissement d'un tiers du soleil, de la lune et des étoiles évoque pour ces théologiens les hérésies ultérieures qui se sont abattues sur la chrétienté telles que la théologie catholique médiévale, le rationalisme, le libéralisme et la théologie moderne en général.

Sans doute y a-t-il de tout cela dans les tableaux qui défilent devant l'auteur de l'Apocalypse. Mais il faut être prudent et ne pas vouloir leur en faire trop dire. Il manque dans ces visions qui font partie des textes les plus mystérieux de l'Apocalypse les détails qui permettraient d'être plus précis. Une certaine réserve faite d'humilité s'impose donc. Il suffit sans doute de dire que tous ces fléaux représentent sous les traits de cataclysmes naturels des dangers et des tribulations d'ordre spirituel, sans que nous ayons à aller plus loin. Certains textes de la Bible et en particulier de l'Apocalypse sont tels que, parmi plusieurs tentatives d'interprétations, on peut tout au plus dire que l'une d'elles est plus conforme au contexte et à l'esprit du livre, et donc plus plausible et plus vraisemblable que les autres.

Malheur, malheur, malheur aux habitants de la terre :

Un aigle dont la particularité est d'être l'oiseau le plus rapide du monde, au vol puissant et infatigable, parcourt le ciel et annonce aux hommes que des malheurs plus grands les attendent encore. A moins qu'il ne s'agisse d'un vautour, la particularité de ce charognard étant qu'il se nourrit de cadavres : «En quelque lieu que soit le cadavre, là s'assembleront les vautours» (Matthieu 24:28). C'est devenu un dicton qui signifie que le châtiment divin frappe les pécheurs. On annonce de nouvelles plaies. Il s'agit de celles que vont déclencher les anges qui tiennent dans la main la cinquième, la sixième et la septième trompette. On les appelle parfois les trois grands malheurs de la fin des temps.

 

La cinquième trompette : le premier malheur


Le cinquième ange sonna de la trompette. Et je vis une étoile qui était tombée du ciel sur la terre. La clef du puits de l'abîme lui fut donnée, et elle ouvrit le puits de l'abîme. Et il monta du puits une fumée, comme la fumée d'une grande fournaise; et le soleil et l'air furent obscurcis par la fumée du puits. De la fumée sortirent des sauterelles, qui se répandirent sur la terre; et il leur fut donné un pouvoir comme le pouvoir qu'ont les scorpions de la terre. Il leur fut dit de ne point faire de mal à l'herbe de la terre, ni à aucune verdure, ni à aucun arbre, mais seulement aux hommes qui n'avaient pas le sceau de Dieu sur le front. Il leur fut donné, non de les tuer, mais de les tourmenter pendant cinq mois; et le tourment qu'elles causaient était comme le tourment que cause le scorpion, quand il pique un homme.

En ces jours-là, les hommes chercheront la mort, et ils ne la trouveront pas; ils désireront mourir, et la mort fuira loin d'eux. Ces sauterelles ressemblaient à des chevaux préparés pour le combat; il y avait sur leurs têtes comme des couronnes semblables à de l'or, et leurs visages étaient comme des visages d'hommes. Elles avaient des cheveux comme des cheveux de femmes, et leurs dents étaient comme des dents de lions. Elles avaient des cuirasses comme des cuirasses de fer, et le bruit de leurs ailes était comme un bruit de chars à plusieurs chevaux qui courent au combat. Elles avaient des queues semblables à des scorpions et des aiguillons, et c'est dans leurs queues qu'était le pouvoir de faire du mal aux hommes pendant cinq mois. Elles avaient sur elles comme roi l'ange de l'abîme, nommé en hébreu Abaddon, et en grec Apollyon. Le premier malheur est passé. Voici il vient encore deux malheurs après cela (Apocalypse 9:1-12).

Le cinquième ange sonna de la trompette :

Une étoile tombe à nouveau du ciel. On songe une fois de plus à une plaie issue du monde invisible, un fléau d'ordre spirituel. L'étoile possède la clé du puits de l'abîme et l'ouvre, laissant échapper la fumée d'une grande fournaise qui obscurcit le soleil et l'air. Des ténèbres générales s'étendent sur la terre. Les Septante, une ancienne traduction grecque de l'Ancien Testament, rend par «abîme» un terme hébraïque qui désigne l'océan primitif (Genèse 1:2; 7:11; Esaïe 51:10) qu'on se le représentait parfois sous les traits d'un monstre tapi dans les profondeurs de la terre (Deutéronome 33:13). Des sauterelles s'échappent de l'abîme. A la différence des sauterelles ordinaires qui dévorent la végétation d'un pays, celles-ci sont armées d'un dard comme les scorpions et s'en prennent non aux plantes, mais aux hommes. Non pas tous les hommes, mais ceux qui ne portent pas le sceau de Dieu sur le front. Ils sont tourmentés pendant cinq mois. La piqûre de ces sauterelles/scorpions est tellement douloureuse que les hommes cherchent la mort sans la trouver.

Encore une étoile qui tombe du ciel. Toute épreuve, même quand elle a pour acteur Satan, le prince des ténèbres, vient du ciel, c'est-à-dire en dernière analyse de Dieu, en ce sens qu'elle est permise par lui et que sans sa volonté elle n'aurait pas lieu. L'astre surgi du ciel ouvre l'abîme, le royaume de Satan, et laisse s'échapper les puissances démoniaques. Dieu permet qu'elles s'en prennent aux hommes. Les sauterelles armées d'un dard de scorpion piquent, mais au lieu de tuer les hommes, elles ne font que les torturer et les tourmenter. Pendant cinq mois, durée de vie d'une sauterelle. Les souffrances endurées sont sans doute les tourments de l'âme infligés par les puissances démoniaques, engendrant le désespoir et la volonté de mourir, mais la mort fuira loin d'eux. Ils voudront mourir et ne le pourront pas. Albert Camus avait raison de dire : «N'attendez pas le jugement dernier. Le jugement a lieu tous les jours.»

Ces sauterelles ressemblaient à des chevaux armés pour le combat :

L'image se précise. On croit voir un tableau de Jérôme Bosch. Les sauterelles ressemblent maintenant à des cavaliers partant pour le combat. Elles ont des visages humains, ce qui est sans doute leur trait le plus horrible. C'est une triste vérité que les plus grandes souffrances dans ce monde ont pour auteur l'homme lui-même. Les sauterelles ont aussi une chevelure de femme, des dents de lions, portent des couronnes d'or et des cuirasses de fer. En agitant leurs ailes, elles font le bruit de chars roulant au combat. Ces cavaliers sauvages ne sont donc pas de simples brutes, mais des êtres humains doués de raison et d'intelligence. Leur chevelure de femme leur donne un aspect séducteur. Unis, ils constituent tout un régiment de cavaliers. Cependant les souffrances qu'ils imposent ne dureront qu'un certain temps, cinq mois, la durée de vie d'une sauterelle.

Elles avaient sur elles comme roi l'ange de l'abîme :

«Les sauterelles n'ont point de roi», dit l'Ecriture (Proverbes 30:27). Mais celles-ci en ont un. Leur chef est l'«ange de l'abîme». Il représente tout ce que vomit cet abîme, toutes les puissances infernales qui en jaillissent et qui ruinent et détruisent l'humanité. Il s'appelle en hébreu Abaddon, d'un verbe qui signifie détruire. C'est un destructeur. Abaddon était dans l'Ancien Testament l'un des noms du lieu de destruction, du Sheol ou de l'Hadès, royaume des morts (Job 26:6; 28:22; Proverbes 15:11; Psaume 88:11). Il s'agit donc bien d'épreuves douloureuses, de séductions mortelles ourdies par le prince des puissances des ténèbres, le chef de l'enfer, Satan. Précisons que le mot grec Apollyon n'est pas une traduction de l'hébreu Abaddon. Il provient sans doute du nom du dieu Apollon dont l'un des symboles était précisément une sauterelle. Quelle ironie! Il est des dieux qui récompensent leurs adorateurs en les tourmentant et en les détruisant! C'était le premier des trois grands malheurs devant frapper le monde avant que ne vienne sa fin. Deux autres attendent encore l'humanité.

Beaucoup de commentateurs ont vu, à l'instar de Luther, dans ce premier grand malheur l'annonce prophétique du terrible fléau connu sous le nom d'arianisme qui ravagea la chrétienté au IV siècle et dont l'influence se fit ressentir longtemps. Arius (256-336), presbytre d'Alexandrie en Egypte, était un hérétique qui niait la divinité du Christ. Il rallia de nombreux adeptes autour de lui et malmena l'Eglise chrétienne qui mit beaucoup de temps à se débarrasser de cette hérésie. Dénoncée et condamnée au concile de Nicée, puis combattue par le grand théologien Athanase et ceux des Pères qu'on appelle les Cappadociens, Basile le Grand, Grégoire de Nysse et Grégoire de Nazianze, elle parvint à se maintenir et même à conquérir de vastes territoires. L'arianisme se propagea parmi les peuples germains qui par la suite envahirent le sud de l'Europe et entraînèrent la désintégration de l'empire romain. Selon cette interprétation, les adeptes de l'arianisme sont décrits dans cette vision sous les traits de sauterelles innombrables qui, au lieu de s'en prendre à la végétation comme les sauterelles ont l'habitude de le faire, agirent comme des scorpions venimeux et tourmentèrent les hommes. On voit dans les morsures douloureuses infligées par ces scorpions l'image des tourments spirituels que connaissent les victimes de fausses doctrines aussi graves que la négation de la divinité de Jésus-Christ.

C'est une interprétation que tout le monde ne partage pas, mais qui ne manque pas d'intérêt. On peut lui reprocher cependant de faire dire au texte plus qu'il n'en dit lui-même. Il est sans doute préférable de se contenter de dire que les tourments infligés par ces sauterelles symbolisent tout ce qui malmène une société, l'égare, suscite son malheur et la conduit à sa perte : philosophies et idéologies en tous genres, technologies de toutes sortes qui déshumanisent l'homme, drogues, permissivité et promiscuité, légitimation de toutes les aberrations et perversions sexuelles possibles et imaginables, profanation du mariage du genre : «Je vous déclare unis aussi longtemps que vous estimerez votre mariage constructif et que vous aurez envie de continuer à vivre ensemble», avortements en chaîne, menaces de l'euthanasie active, culte de la violence dans les salles de cinéma et les programmes de télévision, dangers de manipulations génétiques et de graves dérives dans la recherche scientifique, soif de succès, de prestige et de renom, vénération de l'argent, des biens de ce monde ou du sport, course effrénée aux loisirs, etc. Notre société moderne peut tout s'offrir, et jamais l'homme n'a été si malheureux, si déboussolé que de nos jours.

 

La sixième trompette : le deuxième malheur


Le sixième ange sonna de la trompette. Et j'entendis une voix venant des quatre cornes de l'autel d'or qui est devant Dieu, et disant au sixième ange qui avait la trompette: Délie les quatre anges qui sont liés sur le grand fleuve d'Euphrate. Et les quatre anges qui étaient prêts pour l'heure, le jour, le mois et l'année, furent déliés afin qu'ils tuassent le tiers des hommes. Le nombre des cavaliers de l'armée était de deux myriades de myriades: j'en entendis le nombre. Et ainsi je vis les chevaux dans la vision, et ceux qui les montaient, ayant des cuirasses couleur de feu, d'hyacinthe, et de soufre. Les têtes des chevaux étaient comme des têtes de lions; et de leurs bouches il sortait du feu, de la fumée, et du soufre. Le tiers des hommes fut tué par ces trois fléaux, par le feu, par la fumée, et par le soufre, qui sortaient de leurs bouches. Car le pouvoir des chevaux était dans leurs bouches et dans leurs queues; leurs queues étaient semblables à des serpents ayant des têtes, et c'est avec elles qu'ils faisaient du mal. Les autres hommes qui ne furent pas tués par ces fléaux ne se repentirent pas des oeuvres de leurs mains, de manière à ne point adorer les démons, et les idoles d'or, d'argent, d'airain, de pierre et de bois, qui ne peuvent ni voir, ni entendre, ni marcher; et ils ne se repentirent pas de leurs meurtres, ni de leurs enchantements, ni de leur impudicité ni de leurs vols (Apocalypse 9:13- 21).

Le sixième ange sonna de la trompette :

Au son de la sixième trompette, des anges malfaisants enchaînés sur les rives de l'Euphrate furent relâchés et tuèrent un tiers de l'humanité. Ils étaient escortés d'une armée innombrable, deux myriades de myriades de cavaliers. Du feu, de la fumée et du soufre sortaient de la bouche de leurs chevaux. Quant à leurs queues, elles ressemblaient à des serpents aux têtes multiples chargées de faire du mal. D'innombrables hommes qui ne s'étaient pas repentis périrent. Quant aux autres, ils ne cessèrent pas pour autant d'adorer leurs idoles de métal ou de bois et ne songèrent pas à renoncer au mal qu'ils avaient fait.

Les quatre anges qui sont liés sur le grand fleuve d'Euphrate :

L'Euphrate représentait pour les juifs l'extrême limite de la terre sainte. Pour les Romains, c'était la frontière orientale de leur vaste empire. Au-delà du fleuve habitaient des hordes barbares qu'on n'avait pas su soumettre, notamment les Parthes, redoutables archers à cheval qui hantaient les cauchemars des Romains. En un mot, l'Ennemi. Quatre anges sont liés sur le fleuve. Ils sont la contrepartie des quatre anges d'Apocalypse 7:1.2 qui retenaient les quatre vents et les empêchaient de détruire la terre pour assurer la sécurité des saints. Les quatre anges de notre texte, eux, sont déliés et chargés de tuer un tiers des hommes. Ce n'est pas la destruction totale, mais une très sérieuse et douloureuse mise en garde, un avant-goût de ce qui attend le monde s'il ne se repent pas.

Deux myriades de myriades :

Théoriquement 200.000.000 de cavaliers, mais il s'agit sans doute d'un nombre symbolique qui veut donner une idée de l'importance des puissances démoniaques déchaînées contre le monde. C'est une armée puissante et invincible qui s'en prend à Dieu et à son peuple. Curieusement, l'Apocalypse dont les visions évoquent si souvent de puissantes armées ne parle jamais de guerre. Des armées s'alignent, prêtes au combat, mais l'affrontement n'a pas lieu. A une exception près, la guerre racontée par Apocalypse 12:7-9. Mais, comme nous aurons l'occasion de le voir au moment voulu, c'est un cas très particulier.

Des cuirasses couleur de feu, d'hyacinthe et de soufre :

Ce sont des couleurs semblables à celles de trois des cavaliers décrits dans Apocalypse 6:3.5.8. Cela confirme notre conviction que la structure de l'Apocalypse est cyclique, que ses différentes visions ne décrivent pas des jugements qui se succèdent dans le temps, mais qu'elles reprennent les mêmes thèmes sous une autre perspective et en introduisant des motifs nouveaux. Ainsi donc, le contenu de la séquence des sept trompettes (Apocalypse 8-11) est identique à celui de la séquence des sept sceaux (Apocalypse 4-6) et sera repris plus tard par la séquence des sept coupes (Apocalypse 15.16). Les myriades de cavaliers ont des queues de serpent, l'animal qui symbolise la magie, la sorcellerie, le mal, le démoniaque sous toutes ses formes.

Adorer les démons et les idoles d'or, d'argent, d'airain, de pierres et de bois... :

Les jugements divins sont chargés de frapper tous ceux qui se livrent à un faux culte, cultes sataniques ou cultes des idoles. L'enjeu est le culte. Qui adorons-nous? Dieu ou Satan? La vraie Trinité ou l'Antitrinité constituée du dragon et des deux bêtes? Le vrai Dieu du ciel et de la terre ou les faux dieux de ce monde? Dieu n'admet pas qu'on cloche des deux côtés (1 Rois 18:21). Aucun compromis n'est possible entre la vérité et le mensonge, le Dieu créateur et celui que s'inventent les hommes sur l'instigation de Satan.

On notera que les quatre anges de la destruction sont déliés et relâchés à la demande de Dieu. Encore une fois, rien ne se fait sans sa volonté, sans qu'il le sache et qu'il y consente. L'histoire de ce monde n'est pas un enchevêtrement incohérent d'événements incontrôlés, mais elle est dominée, gouvernée par le Créateur tout-puissant, le Seigneur des seigneurs, le Roi des rois.

Ils ne se repentirent pas :

C'est ce qu'il y a de plus triste dans ce tableau, comme du reste dans les autres. Dieu veut sauver tous les hommes (1 Timothée 2:4). Quand il délie et lâche sur ce monde ce que les hommes dans leur aveuglement interprètent comme des manifestations de son impuissance ou de son injustice ou des preuves de son inexistence, il ne vise qu'une chose : la repentance et le salut de tous (Luc 13:1-9; Romains 2:4). Dieu a beaucoup de langages; il sait s'exprimer de bien des façons : par la parole des prophètes et des apôtres, par les joies et les peines, par la naissance d'un enfant ou la mort d'un parent, par les champs et les récoltes abondantes, par les destructions causées par les guerres et par les bienfaits de la paix. C'est chaque fois le même message: «Repentez-vous avant qu'il ne soit trop tard!» Et c'est, comme il l'enseigne dans 2 Pierre 3, la seule raison qui le pousse à retarder le jour du jugement. Qu'il encourage ou qu'il menace, qu'il parle, murmure ou hurle, les hommes ne veulent pas l'écouter. Le message de Jean est le même que celui de Paul : «Sachez-le bien, aucun débauché ou impur ou cupide, c'est-à-dire idolâtre, n'a d'héritage dans le royaume de Christ et de Dieu. Que personne ne vous séduise par de vains discours, car c'est à cause de ces choses que la colère de Dieu vient sur les fils de la rébellion» (Ephésiens 5:5.6).

Les commentateurs qui estiment que les sauterelles à visage humain et à la chevelure de femme symbolisent la puissance de séduction de fausses doctrines telles que l'arianisme (cinquième trompette, Apocalypse 9:1-12), pensent que les quatre anges enchaînés sur les rives de l'Euphrate qui furent déliés au son de la sixième trompette et allèrent, escortés de myriades de cavaliers, tuer le tiers des hommes avec le feu, la fumée et le soufre s'échappant de la bouche de leurs montures (sixième trompette, Apocalypse 9:13-21) représentent la montée de l'islam porteur de la guerre sainte et recourant à la violence et la cruauté pour exterminer le christianisme. A la différence des sauterelles du premier malheur qui ne firent que blesser les hommes, les cavaliers conduits par les quatre anges tuèrent et massacrèrent le tiers de l'humanité. Chiffre symbolique, bien sûr. On rappelle que l'islam est venu de l'est (Euphrate) et qu'il recourut à la guerre sainte pour conquérir de nombreux pays, obligeant les hommes sous peine d'extermination à se convertir et ne reculant devant aucune forme de cruauté pour étendre son règne. La présence des armées musulmanes aux portes de Vienne au XVI siècle et le danger réel qu'elles faisaient courir à l'Europe depuis des siècles, ainsi que certains détails de la vision incitèrent Luther et beaucoup d'autres à recourir à cette interprétation de la vision. Elle a encore bien des défenseurs de nos jours et, en attendant une autre plus convaincante, il est permis d'y souscrire. Arianisme et islam, c'est la fausse doctrine qui s'efforce de détourner les chrétiens de la vérité, et la persécution violente qui les incite à renier leur foi pour échapper à la mort. L'une s'en prend à leur âme et l'autre à leur corps. L'une et l'autre exercent leurs ravages sur ceux qui ne reçoivent ou ne gardent pas l'Evangile d'un coeur croyant. L'une et l'autre sont des fléaux que le Seigneur pourrait épargner au monde, mais que dans sa sagesse il laisse sévir, d'une part pour éprouver la foi des siens et de l'autre pour châtier ceux qui méprisent sa Parole.

Arianisme et islam ou pas, ces fléaux sont à n'en pas douter de nature spirituelle. Ils annoncent les ravages des puissances de mensonge qui émanent de l'enfer et de son prince. Si on rejette cette thèse, il ne reste comme alternative que l'interprétation littérale. Celle-ci consiste à voir dans les sauterelles aux morsures douloureuses comme celles des scorpions des épidémies et autres graves maladies, et dans l'armée de cavaliers tuant par le feu, la fumée et le soufre différents types de morts infligées aux hommes. Une telle explication n'est guère satisfaisante. Mais rappelons-le encore une fois : il faut se méfier de toute interprétation autoritaire. En commentant l'Apocalypse, on marche sur des oeufs et on doit souvent, à défaut de certitudes, se contenter d'hypothèses. D'autant plus que ces visions font partie des textes les plus énigmatiques de l'Apocalypse. Il se pourrait fort bien que leur sens ait été plus évident pour les lecteurs de l'époque que pour nous, car ils baignaient dans une sorte d'atmosphère apocalyptique qui nous est quelque peu étrangère. Il faut donc éviter tout dogmatisme et tout arbitraire dans l'interprétation de ce genre de textes. Ce sont des pages de la Bible difficiles et, faute de certitudes, il faut s'estimer heureux quand on atteint un certain degré de vraisemblance.

 

Un ange annonce le mystère de Dieu dévoilé par la septième trompette :


Je vis un autre ange puissant, qui descendait du ciel, enveloppé d'une nuée; au-dessus de sa tête était l'arc-en-ciel, et son visage était comme le soleil, et ses pieds comme des colonnes de feu. Il tenait dans sa main un petit livre ouvert. Il posa son pied droit sur la mer, et son pied gauche sur la terre; et il cria d'une voix forte, comme rugit un lion. Quand il cria, les sept tonnerres firent entendre leurs voix. Et quand les sept tonnerres eurent fait entendre leurs voix, j'allais écrire; et j'entendis du ciel une voix qui disait: Scelle ce qu'ont dit les sept tonnerres, et ne l'écris pas. Et l'ange, que je voyais debout sur la mer et sur la terre, leva sa main droite vers le ciel, et jura par celui qui vit aux siècles des siècles, qui a créé le ciel et les choses qui y sont, la terre et les choses qui y sont, et la mer et les choses qui y sont, qu'il n'y aurait plus de temps, mais qu'aux jours de la voix du septième ange, quand il sonnerait de la trompette, le mystère de Dieu s'accomplirait, comme il l'a annoncé à ses serviteurs, les prophètes (Apocalypse 10:1- 7).

Cette nouvelle vision contient bien des détails difficiles à interpréter et qui nous obligeront à la fois à la modestie, la réserve et la prudence. Mais une chose est certaine, et c'est le message de ces versets: l'ange qui apparut à Jean jura par le Dieu tout-puissant «qu'il n'y aurait plus de temps, mais qu'aux jours de la voix du septième ange, quand il sonnerait de la trompette, le mystère de Dieu s'accomplirait, comme il l'a annoncé à ses serviteurs, les prophètes.» Dieu n'oublie pas ses promesses et ne tarde pas dans leur accomplissement, et ce qu'on pourrait interpréter comme un oubli ou un ajournement est dû au seul fait qu'il voudrait sauver tous les hommes (2 Pierre 3:9).

Un petit livre ouvert :

Un ange puissant et majestueux apparaît à Jean, tellement puissant et majestueux que beaucoup de commentateurs estiment qu'il s'agit du Christ lui-même, l'«ange», c'est-à-dire le messager de Dieu par excellence (Apocalypse 7:2; 8:3). Il est enveloppé d'une nuée, symbole de la toute-puissance de Dieu (Matthieu 24:30; Apocalypse 1:13; 14:14; Daniel 7:13), surmonté d'un arc-en-ciel (Apocalypse 4:3). Son visage resplendit comme le soleil (Apocalypse 1:16). Ses jambes sont comme des colonnes de feu; il rugit comme un lion (Apocalypse 5:5). Cette combinaison d'attributs divins qu'on retrouve dans d'autres visions suggère fortement l'idée que cet ange puissant est le Christ lui-même. Mais si puissant et majestueux qu'il soit, il est, comme le montre l'arc-en-ciel au-dessus de sa tête, le messager d'un Dieu miséricordieux, du Dieu de l'alliance qui accomplit ses promesses de grâce.

Il tient dans les mains un petit livre ouvert. Plus précisément un petit rouleau de papyrus ou de parchemin, car les livres tels que nous les connaissons de nos jours n'existaient pas encore à l'époque. A la différence du livre scellé dont le Christ seul fut trouvé digne de briser les sceaux (Apocalypse 5:1-5), ce petit rouleau est ouvert. Il raconte tous les grands actes que Dieu accomplira encore avant la fin du monde. Il est semblable au livre d'Apocalypse 5:1-10 dont l'Agneau de Dieu était seul habilité à ouvrir les sceaux.

L'«ange» posa son pied droit sur la mer et son pied gauche sur la terre, ce qui signifie que son message est universel et que son autorité s'étend sur la terre tout entière. La mer et la terre sont les deux endroits de ce monde d'où surgissent les deux bêtes envoyées par le dragon (Apocalypse 13:1.11). Jésus pose ses pieds sur ces deux endroits pour indiquer qu'il en est le maître. En Christ, Satan, le dragon, trouve plus fort que lui (Marc 3:27). Il rugit comme un lion, et quand Satan rôde comme un lion rugissant cherchant qui il dévorera (1 Pierre 5:8), il ne fait que l'imiter, le singer.

Scelle ce qu'ont dit les sept tonnerres :

L'ange rugit comme un lion, et pendant qu'il rugissait, sept tonnerres firent entendre leur voix. On notera encore une fois le chiffre sept, chiffre de la plénitude et de la perfection divines. Ces tonnerres étaient autant de manifestations des jugements divins. Ils étaient la révélation de choses qui devaient encore se produire, et Jean s'apprêtait à consigner par écrit ce qui venait de lui être révélé de la sorte, lorsque l'ange lui demanda de n'en rien faire. «Scelle ce qu'ont dit les sept tonnerres, et ne l'écris pas.» Le prophète ne doit pas raconter tout ce qu'il vient de voir et d'entendre, mais seulement ce que l'Eglise a besoin de savoir dans l'immédiat. Il y a des choses que le peuple de Dieu doit savoir, car il y va de son salut, et d'autres qu'il n'a pas besoin de savoir ou qu'il vaut mieux qu'il ne sache pas. Par exemple, la date du retour de Jésus-Christ... Lui annoncer tout ce qui se produira encore serait lui imposer un fardeau trop lourd à porter. Il suffit donc pour l'instant que l'Eglise sache que Dieu accomplira le mystère annoncé depuis longtemps par les prophètes et que la fin viendra en son temps.

La septième trompette qui résonnera bientôt inaugurera la description du jugement final. Celui-ci sera si terrible que la scène est introduite par la vision de l'ange. Ce dernier prépare Jean à assumer ce qu'il va voir et lui demande en même temps de l'annoncer.

Le mystère de Dieu :

C'est le mystère caché dans les temps anciens et révélé maintenant par l'Esprit de Dieu qui parle par les apôtres et les prophètes (Ephésiens 3:5.6). C'est le dessein de Dieu de réunir toutes choses en Christ, celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre (Ephésiens 1:10). C'est l'Evangile du salut en Christ, mais aussi l'annonce des jugements qui frapperont le monde incrédule.

 

Jean est appelé à prophétiser :


Et la voix, que j'avais entendue du ciel, me parla de nouveau, et dit: Va, prends le petit livre ouvert dans la main de l'ange qui se tient debout sur la mer et sur la terre. Et j'allai vers l'ange, en lui disant de me donner le petit livre. Et il me dit: Prends-le, et avale-le; il sera amer à tes entrailles, mais dans ta bouche il sera doux comme du miel. Je pris le petit livre de la main de l'ange, et je l'avalai; il fut dans ma bouche doux comme du miel, mais quand je l'eus avalé, mes entrailles furent remplies d'amertume. Puis on me dit: Il faut que tu prophétises de nouveau sur beaucoup de peuples, de nations, de langues, et de rois (Apocalypse 10:8-11).

Jean entend à nouveau la voix qu'il avait déjà perçue auparavant, une voix «comme le son d'une trompette» (Apocalypse 1:10; 4:1), de toute évidence celle de Dieu lui-même. Il lui est demandé alors d'accomplir un geste hautement symbolique qui illustre son envoi en mission. C'est qu'il est mandaté par Dieu comme l'avaient été les prophètes et les apôtres et comme le sont tous les ministres de l'Eglise. Le Christ lui-même, sous les traits d'un ange, lui tend un livre.

Prends le petit livre ouvert dans la main de l'ange :

C'est pour que Jean le prenne que le rouleau lui est tendu. Rappelons que nous avons affaire à une vision. C'est quelque chose que Jean voit et perçoit au cours d'un songe. Ce petit livre est ouvert. En cela, il ressemble au livre d'Apocalypse 5 après que l'Agneau en eut brisé les sept sceaux (Apocalypse 5:1-6:17; 8:1). Ce que l'un et l'autre de ces rouleaux annoncent est entre les mains du Christ chargé d'accomplir le plan de Dieu. Mais il s'agit cette fois-ci d'un «petit» livre : il ne révèle pas toute l'histoire de l'Eglise chrétienne dans ce monde, mais les derniers actes de Dieu, ses derniers projets concernant les nations, les peuples et les rois.

Prends-le et avale-le :

Ce geste symbolise l'inspiration prophétique. Il nous montre aussi combien l'Apocalypse de Jean est enracinée dans l'Ancien Testament. Le prophète Ezéchiel avait été lui aussi chargé de prendre et d'avaler un rouleau qui contenait «des lamentations, des plaintes et des gémissements» (Ezéchiel 2:8- 3:3). Dans un de ses oracles, Jérémie dit de même à Dieu qu'il a recueilli ses paroles et les a dévorées (Jérémie 15:16). Jean mange un rouleau qu'un ange lui tend au nom de Dieu : il s'approprie une révélation que lui accorde le Seigneur. Il l'intègre, dirait-on aujourd'hui. Une fois qu'il l'a reçue, elle devient partie intégrante de lui-même. Il l'a à ce point assimilée qu'il peut la restituer fidèlement. En un mot, les tableaux de l'histoire de l'Eglise et du monde que contient l'Apocalypse ne sont pas le produit de l'imagination délirante d'un visionnaire en mal de sensationnel ou d'un mystique en extase, mais la reproduction fidèle de ce que le Seigneur lui a donné de voir. Ils sont Parole de Dieu. Jean n'est pas une sorte de Nostradamus, mais prophète du Dieu Créateur et Rédempteur du monde. Pour pouvoir prêcher la Parole de Dieu, il faut auparavant l'intérioriser, la faire sienne, s'identifier à elle, se l'approprier. Il faut faire l'expérience de la grâce pour pouvoir valablement la proclamer. Tous les prédicateurs de la Parole envoyés par le Seigneur n'ont pas, comme Moïse, vu Dieu dans un buisson ardent. Tous ne sont pas des rescapés comme Jonas et n'ont pas connu un chemin de Damas semblable à celui de Paul, mais tous doivent assimiler le contenu de a révélation divine, la digérer, se l'approprier pour pouvoir la restituer fidèlement.

Il fut dans ma bouche doux comme du miel, mais quand je l'eus avalé, mes entrailles furent remplies d'amertume :

Le petit rouleau annonçant la fin du monde et son jugement est pour Jean à la fois doux et amer. C'est encore un élément de la vision. La douceur représente la vie, tandis que l'amertume est synonyme de mort. Ainsi, la Parole de Dieu est pour les uns une «odeur de vie pour la vie» et pour les autres une «odeur de mort pour la mort» (2 Corinthiens 2:15.16). C'est une puissance de Dieu pour le salut de ceux qui croient (Romains 1:16), une épée à double tranchant qui sépare jointures et moelles (Hébreux 4:12). Cela signifie que ce que Jean a à annoncer est doux pour les uns et amer pour les autres. Doux pour ceux qui attendent avec impatience que vienne le jour de leur délivrance, et amer pour ceux qui demanderont aux montagnes de les couvrir et de les cacher pour qu'ils puissent échapper à la colère du Juge. Pour les uns ce sera une attente faite de joie, et pour les autres une attente terrible (Hébreux 10:27); pour les uns la rédemption finale, pour les autres la condamnation éternelle. Les uns relèveront la tête, les autres seront couverts de honte. Mais cela signifie aussi que Jean lui-même goûtera à la douceur et à l'amertume, que son ministère sera fait de joies et de souffrances. Il se réjouira avec les anges du ciel chaque fois qu'un pécheur se repentira et trouvera le chemin du salut (Luc 15:10.24), et son coeur sera triste chaque fois qu'il verra des hommes persister dans leur incrédulité et continuer leur route sur le chemin large qui mène à la perdition. Il connaîtra la joie du Christ quand les gens venaient avec lui avec un coeur brisé et croyant, et les larmes du Christ quand il pensait à Jérusalem (Matthieu 23:37-39; Luc 19:41-44).

S'il est demandé à Jean d'avaler le livre contenant le récit de la fin du monde et du jugement final, c'est pour annoncer tout cela. Il faut qu'il prophétise de nouveau «sur beaucoup de peuples, de nations, de langues et de rois». Dieu veut donner à ce monde une dernière chance. Comme l'écrivait l'apôtre Pierre: «Le Seigneur ne tarde pas dans l'accomplissement de la promesse, comme quelques-uns le croient, mais il use de patience envers vous, ne voulant pas qu'aucun périsse, mais voulant que tous arrivent à la repentance» (2 Pierre 3:9).

 

Quarante deux mois, le temps des nations :


On me donna un roseau semblable à une verge, en disant: Lève-toi, et mesure le temple de Dieu, l'autel, et ceux qui y adorent. Mais le parvis extérieur du temple, laisse-le en dehors, et ne le mesure pas; car il a été donné aux nations, et elles fouleront aux pieds la ville sainte pendant quarante-deux mois (Apocalypse 11:1.2).

Il sera question dans le chapitre 11 de l'Apocalypse de peuples et de nations, de langues et de rois. Il n'est pas demandé à Jean d'aller enseigner la Parole de Dieu à tous ces hommes, mais de parler d'eux, de prophétiser sur eux tandis qu'il va mesurer le temple et que retentira la septième trompette. Si les rois sont mentionnés, c'est parce que, en la personne des empereurs qui exigeaient qu'on leur rende un culte, ils incarnaient une puissance démoniaque incitant les hommes à l'idolâtrie, et qu'ils sont aujourd'hui encore trop souvent les instruments de Satan. Qu'ils le veuillent ou non, Jean et tous les prédicateurs de la Parole de Dieu devront «faire de la politique», dénoncer les agissements des grands de ce monde, dévoiler les puissances occultes qui s'exercent à travers eux et annoncer leur chute. Et comme les chrétiens de tous les temps vivent dans le même monde que ceux de l'époque apostolique, il est bon qu'ils lisent et comprennent l'Apocalypse, pour qu'ils sachent quelles sont les puissances à l'action ici-bas, qui tire avec l'autorisation de Dieu les ficelles dans ce bas monde.

Mesure le temple de Dieu :

La même voix que dans les visions précédentes se fait entendre. Quelqu'un tend à Jean un roseau. Le roseau était une unité de mesure de six coudées de long, soit 6 x 44 cm = 2,64 m. On demande à l'apôtre de mesurer le temple. Il ne peut pas s'agir du temple de Jérusalem qui avait été détruit par les Romains en 70 de notre ère et qui n'était qu'un monceau de ruines à l'époque où l'Apocalypse fut écrite. Le temple que Jean est chargé de mesurer est le temple qu'il contemple au cours d'une vision et qui devait représenter l'Eglise chrétienne, l'édifice invisible que constituent tous les chrétiens du monde. La vision emploie pour le décrire le vocabulaire de l'Ancien Testament, en évoquant l'autel et le parvis extérieur. Il s'agit du lieu saint, du sanctuaire dans lequel Dieu habite dans ce monde, de l'Eglise de la nouvelle alliance. Le temple de l'Ancien Testament n'était pas seulement le sanctuaire où on offrait des sacrifices à Dieu, mais comportait aussi une vaste cour faite, à l'époque du Christ, de trois parvis différents. Le parvis extérieur était accessible aux commerçants (Marc 11:15-17), mais aussi aux païens, à tous ceux qui ne faisaient pas partie du peuple de Dieu. C'est ainsi que l'Eglise chrétienne, telle qu'elle apparaît aux hommes, n'est pas seulement le peuple invisible des vrais croyants, mais l'assemblée de tous ceux qui se réunissent autour de la Parole de Dieu et des sacrements. L'Eglise ou le peuple de Dieu est en lui-même invisible. Ce que le monde voit, ce sont des gens qui s'assemblent pour adorer Dieu et qui font profession d'être des croyants. Et dans l'Eglise visible il y a de l'hypocrisie et beaucoup d'infidélités. Mais l'Eglise elle-même est l'assemblée des vrais croyants, car «tous les vrais croyants, mais eux seuls, en font partie» (Petit Catéchisme de Luther).

Il est demandé à Jean de mesurer le temple, son autel et l'emplacement où sont réunis les adorateurs, mais pas le parvis extérieur. L'autel est toujours dans l'Apocalypse l'autel des parfums dans l'enceinte du temple (Apocalypse 8:1.3; 9:13). C'est le lieu de la présence divine, l'endroit où les adorateurs se prosternent devant le Seigneur. Le fait que Dieu lui-même invite Jean à mesurer le temple signifie que ce temple lui appartient. Les croyants sont son peuple au milieu desquels il vit et règne par sa grâce, le peuple auquel il tient comme à la prunelle de ses yeux, sur lequel il veille et qu'il protège et sauve. Ils sont le temple de Dieu, comme l'apôtre saint Paul ne cesse de le rappeler (1 Corinthiens 3:16; 2 Corinthiens 6:16; Ephésiens 2:21). Mesurer, c'est délimiter, identifier, regrouper, tracer des frontières. C'est mettre ensemble ce qui va ensemble et en exclure ce qui n'en fait pas partie. Mesurer le temple, son autel et ceux qui y adorent Dieu, c'est établir les frontières de ce qui appartient au Seigneur, les limites des choses saintes qui sont à lui et sur lesquelles il veille.

Jean n'a pas à mesurer le parvis extérieur. Cela signifie que Dieu ne reconnaît pas comme sienne l'Eglise apostate et infidèle, tous ceux qui portent sur le front la marque de la bête (Apocalypse 14:9-11; 19:20), qui l'adorent et qui périront avec elle. Ce n'est pas son peuple. Il se détourne d'elle. Il en sera d'elle comme de l'Israël infidèle dont le prophète dit : «Ils ont été rebelles, ils ont attristé son Esprit saint, et il est devenu leur ennemi, il a combattu contre eux... Nos ennemis ont foulé ton sanctuaire, nous sommes depuis longtemps comme un peuple que tu ne gouvernes pas et qui n'est point appelé de ton nom» (Esaïe 63:10.18.19). Voilà ce qu'il en est quand, tout en affirmant servir le Seigneur, on court après de faux dieux.

Elles fouleront aux pieds la ville sainte pendant quarante-deux mois :

L'Eglise infidèle et apostate sera livrée aux nations païennes qui finiront de la profaner. Rappelons qu'il y avait plusieurs parvis dans l'enceinte du temple de Jérusalem, dont le parvis des païens dans lequel pouvaient se rendre les incirconcis. De même que selon la prophétie du Christ Jérusalem, l'ancienne capitale du peuple d'Israël, sera «foulée aux pieds par les nations jusqu'à ce que les temps des nations soit accomplis» (Luc 21:24), de même la fausse Eglise du Christ sera investie et conquise par ce monde impie.

Ce «temps des nations» durera quarante-deux mois ou mille deux cent soixante jours (V.3), ou bien encore «un temps, deux temps et la moitié d'un temps» (Apocalypse 12:14), soit trois ans et demi. Chiffre symbolique. C'était le temps qu'avait duré le terrible règne d'Antiochus Epiphane IV (168-165 av. J.-C.) qui profana le temple de Dieu, l'auteur de l'abomination de la désolation qui fait figure dans la Bible de précurseur, préfiguration et prototype de l'Antichrist. Cela dit, 3« est la moitié de 7, une fraction du chiffre symbolisant la perfection et la plénitude divines. C'est le temps de ce monde, le temps d'un monde déchu, éloigné de Dieu, hostile au Seigneur et à sa Parole, le temps des ennemis du Dieu très- haut. Un temps compté, relativement court, en tout cas au regard de l'éternité glorieuse qui attend les vainqueurs. Nous n'irons pas plus loin dans l'interprétation de ce chiffre et refusons de souscrire aux innombrables spéculations auxquelles il a donné lieu. Nous nous interdisons de déterminer sur la base de cette indication numérique des dates pour le soi-disant enlèvement de l'Eglise dont parlent les millénialistes, ou pour le retour du Christ. Nous ne croyons pas non plus qu'une période de tribulations d'une durée précise de trois ans et demi précédera un règne millénaire du Christ sur terre.

Quarante-deux mois est le temps des nations, un temps qui a commencé depuis longtemps, depuis que le Christ a chargé ses apôtres d'aller annoncer l'Evangile aux nations, et qui durera aussi longtemps que subsistera ce monde. Pendant tout ce temps, des païens se convertiront à l'Evangile, mais pendant tout ce temps aussi le monde païen foulera aux pieds et persécutera l'Eglise chrétienne. Trois ans et demi! C'est un temps relativement court quand on le compare à l'éternité dans laquelle entrera l'Eglise. C'est surtout un temps bien mesuré. Dieu fixe des limites aux puissances du mal, au prince des ténèbres et à ses "apôtres". Ces limites, personne ne peut les outrepasser. Le Seigneur veille à cela.

Et ne l'oublions pas, Dieu a demandé à Jean de mesurer le temple et ceux qui s'y prosternent devant son autel. Il a délimité ce qui lui appartient. C'est comme s'il l'avait entouré d'une enceinte afin que personne ne puisse y mettre la main. Le Seigneur veille sur les siens et les protège au milieu des tribulations de la fin des temps. Cette fin des temps, rappelons-le, a commencé avec la résurrection et l'ascension du Christ.

 

Les deux témoins :


Je donnerai à mes deux témoins le pouvoir de prophétiser, revêtus de sacs, pendant mille deux cent soixante jours. Ce sont les deux oliviers et les deux chandeliers qui se tiennent devant le Seigneur de la terre. Si quelqu'un veut leur faire du mal, du feu sort de leur bouche et dévore leurs ennemis; et si quelqu'un veut leur faire du mal, il faut qu'il soit tué de cette manière. Ils ont le pouvoir de fermer le ciel, afin qu'il ne tombe point de pluie pendant les jours de leur prophétie; et ils ont le pouvoir de changer les eaux en sang, et de frapper la terre de toute espèce de plaie, chaque fois qu'ils le voudront. Quand ils auront achevé leur témoignage, la bête qui monte de l'abîme leur fera la guerre, les vaincra, et les tuera. Et leurs cadavres seront sur la place de la grande ville, qui est appelée, dans un sens spirituel, Sodome et Égypte, là même où leur Seigneur a été crucifié. Des hommes d'entre les peuples, les tribus, les langues, et les nations, verront leurs cadavres pendant trois jours et demi, et ils ne permettront pas que leurs cadavres soient mis dans un sépulcre. Et à cause d'eux les habitants de la terre se réjouiront et seront dans l'allégresse, et ils s'enverront des présents les uns aux autres, parce que ces deux prophètes ont tourmenté les habitants de la terre.

Après les trois jours et demi, un esprit de vie, venant de Dieu, entra en eux, et ils se tinrent sur leurs pieds; et une grande crainte s'empara de ceux qui les voyaient. Et ils entendirent du ciel une voix qui leur disait: Montez ici! Et ils montèrent au ciel dans la nuée; et leurs ennemis les virent. A cette heure-là, il y eut un grand tremblement de terre, et la dixième partie de la ville, tomba; sept mille hommes furent tués dans ce tremblement de terre, et les autres furent effrayés et donnèrent gloire au Dieu du ciel. Le second malheur est passé. Voici, le troisième malheur vient bientôt (Apocalypse 11:3-14).

Deux hommes, fidèles témoins de Dieu, entrent en scène. Revêtus de sacs, le vêtement antique symbolisant le deuil et la repentance (Jonas 3:5-10; Matthieu 11:21), ils sont chargés de prophétiser, c'est-à-dire, à l'image des prophètes de l'Ancien Testament, d'annoncer la Parole de Dieu et d'appeler les hommes à la repentance.

Deux oliviers... deux chandeliers :

Encore une de ces images éloquentes empruntées à l'Ancien Testament. Dans une vision analogue, Zacharie contemple un chandelier entouré de deux oliviers (Zacharie 4:3.11-14). Le chandelier y représente le prince Zorobabel, chef politique des juifs rentrés de l'exil, et les deux oliviers «les deux oints qui se tiennent devant le Seigneur de toute la terre», c'est-à-dire les chefs religieux, les sacrificateurs ou témoins de Dieu. Qu'on se souvienne aussi du chandelier aperçu par Jean dans Apocalypse 1:12.20; 2:5. Ils sont deux, car toute affaire en Israël devait se régler sur la déclaration d'au moins deux témoins (Deutéronome 19:15; Matthieu 18:16; Luc 10:1). Le fait qu'ils se tiennent devant le Seigneur et qu'ils reçoivent de lui le pouvoir de prophétiser montre qu'ils sont ses représentants accrédités. Ce sont des oliviers divins car ils ont reçu de Dieu l'onction d'huile sainte qui a fait d'eux ses serviteurs; et ce sont des chandeliers, chargés de répandre dans un monde de ténèbres la lumière de la Parole de Dieu. Ils doivent glorifier Dieu auprès et au loin, en proclamant son saint Evangile.

Les deux témoins sont revêtus de sacs, signes visibles de la repentance (2 Rois 1:8; Marc 1:6). Ils prêchent la repentance et la vivent, cette repentance dont Luther dit dans la première de ses quatre- vingt-quinze thèses qu'elle doit être une repentance de tous les jours. La vision précise que personne n'a le droit de leur faire du mal. Jésus donne à ses témoins pouvoir sur les scorpions et les serpents et sur la puissance de l'ennemi (Luc 10:19). Du feu sort de leur bouche et dévore leurs ennemis. Leur pouvoir ressemble à celui d'Elie qui fit jaillir le feu du ciel quand des soldats furent envoyés par le roi pour l'arrêter (2 Rois 1:10-12). Le feu qui jaillit du ciel est le signal de la présence et de la puissance de Dieu : «Un feu dévorant sortait de sa bouche, il en jaillissait des charbons embrasés» (Psaume 18:9). Les deux témoins ressemblent aussi à Elie en ce qu'ils peuvent fermer les cieux, retenir la pluie et provoquer ainsi une sécheresse (1 Rois 17:1). Enfin, comme Moïse en Egypte, ils changent l'eau en sang et suscitent toutes sortes de plaies. Ils ont été investis par le même Dieu de la même mission que ces deux grands prophètes de l'Ancien Testament. Ils exercent un pouvoir divin, un pouvoir que leur a confié Dieu. C'est la preuve qu'ils sont ses envoyés.

Combien de temps? 1260 jours; Ou, si on préfère, deux temps, un temps et la moitié d'un temps, soit trois ans et demi. C'est le temps de l'Eglise, toute la période qui sépare l'ascension du Christ de son retour en gloire pour le jugement, période qui a pour seule raison d'être la prédication de l'Evangile aux nations parce que Dieu veut sauver beaucoup d'hommes.

Du feu sort de leur bouche et dévore leurs ennemis :

Langage imagé qui affirme avec force que Dieu protège les témoins qu'il a chargés d'évangéliser le monde. Non qu'aucun mal ne puisse leur arriver, mais aussi longtemps qu'ils n'ont pas accompli leur mission, leurs ennemis n'auront pas de pouvoir sur eux.

Ils ont le pouvoir de fermer le ciel..., de changer les eaux en sang..., de frapper la terre de toute espèce de plaies :

Cette phrase n'est sans doute pas à prendre à la lettre, pas plus que les précédentes, mais veut, encore une fois en des termes provenant de l'Ancien Testament, affirmer qu'ils sont revêtus de l'autorité qui était celle des grands prophètes de jadis. C'est ainsi qu'Elie avait fermé le ciel pour qu'il refuse la pluie et la rosée (1 Rois 17:1), et que Moïse transforma en sang les eaux du Nil et frappa l'Egypte de nombreuses plaies (Exode 7-12). Jésus avait de même donné à ses apôtres, chargés d'évangéliser le monde, le pouvoir de chasser les démons, de parler en langues et de guérir les malades (Marc 16:17.18).

Force est de constater que les prophètes et les apôtres avaient le pouvoir d'opérer des prodiges et que les prédicateurs d'aujourd'hui ne l'ont manifestement plus, en tout cas pas d'une façon aussi spectaculaire. Alors il faut rappeler une fois de plus que nous avons affaire dans l'Apocalypse à des visions qui véhiculent un message en recourant aux termes et aux réalités de l'Ancien Testament. Il s'agit d'affirmer que les prédicateurs de l'Evangile ont la même autorité que les prophètes de l'Ancien Testament, car ils sont envoyés par le même Dieu, chargés du même message et revêtus de la même autorité. De même que l'Ancien Testament représente le Sauveur à venir sous les traits d'un guerrier conquérant le monde avec son épée et paissant les nations avec une verge de fer (Psaume 2:9), ou sous les traits d'un vendangeur qui châtie au jour du jugement les nations comme on foule aux pieds le raisin (Esaïe 63:1-6), images qu'on retrouve dans l'Apocalypse (6:2; 19:15), de même les prédicateurs de l'Evangile sont souvent représentés comme de nouveaux Moïse ou Elie opérant des prodiges semblables à ceux de ces deux géants parmi les prophètes de Dieu.

Qui sont ces deux figures? Le texte ne le dit pas. Il les appelle des témoins et des prophètes (Apocalypse 11:3.10). Ils sont, comme les prophètes et comme Jean lui-même, chargés d'appeler les hommes à la repentance. Par le pouvoir qui leur est accordé, la vision les met en rapport avec Moïse et Elie, les deux grands témoins de Dieu de l'Ancien Testament qui apparurent à la droite et à la gauche du Christ pendant la transfiguration. D'autre part, ces deux témoins sont chargés de prêcher pendant 1260 jours, soit tout le temps que durera le règne de terreur de la bête (Apocalypse 13:5-7), un temps qui est pour cela le temps de l'Eglise, le temps de l'évangélisation du monde. Cela nous autorise sans doute à affirmer que ces deux témoins ne sont pas deux individus précis, mais qu'ils représentent tous les témoins de Dieu, tous les prédicateurs de l'Evangile jusqu'à la fin des temps. Et tout le temps que dure leur mission, Dieu veille sur eux pour que leurs ennemis ne leur fassent aucun mal.

C'est une façon illustrée et combien éloquente de dire que le Seigneur veille sur son Eglise, de sorte que les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle selon la promesse du Christ. L'Evangile sera prêché aussi longtemps que subsistera ce monde. Dieu lui-même y veille, en suscitant des témoins, en les envoyant auprès de toutes les nations et en veillant sur eux. Ils sont combattus par les puissances des ténèbres, réduits au silence, voire mis à mort, mais seulement «quand ils auront achevé leur témoignage». Cela signifie dans le langage de la vision que rien ne peut les empêcher d'accomplir leur mission.

La bête qui monte de l'abîme leur fera la guerre, les vaincra et les tuera :

Le disciple n'est pas plus grand que son maître. Il lui suffit d'être comme son maître, dit Jésus (Matthieu 10:24). Tout vrai témoin du Christ est appelé, même si c'est à des degrés divers, à boire à la même coupe et à recevoir le même baptême que lui. Cette bête est toujours présentée comme sortant de l'abîme (Apocalypse 9:1) ou de la mer (Apocalypse 13:1). C'est pourquoi c'est dans la mer que le Christ précipita les cochons dont s'étaient emparés les démons (Marc 5:13). Il s'agit de l'abîme infernal, domaine de Satan et de ses anges, alors que le ciel est le domaine de Dieu et de l'Agneau rédempteur. La bête envoyée par Satan pour faire la guerre aux témoins de Dieu, chargée de les réduire au silence en les tuant au besoin, est l'Antichrist. Envoyée par le prince de la puissance des ténèbres qui s'oppose à Dieu et à son règne et ne veut pas qu'il conquière les hommes pour les sauver, elle s'en prend aux prédicateurs de la Parole de Dieu, à ceux que le Seigneur charge de parcourir le monde pour appeler les nations et les peuples à la repentance.

La bête est le singe du Christ. Elle cherche en tout à l'imiter, mais elle fait tout en sens inverse. L'Agneau meurt pour conquérir les hommes, tandis que la bête tue. L'Agneau apporte la paix aux croyants, la bête déclare la guerre. L'Agneau aime, la bête hait. L'Agneau veut le bonheur des hommes, la bête recherche leur malheur. Et la bête triomphe, tandis que l'Agneau est vaincu. C'est du moins ce qu'on pourrait croire, car ce n'est qu'une apparence, mais une apparence tenace. Les deux témoins seront mis à mort et leurs cadavres seront sur «la place de la grande ville», de cette ville qui n'a cessé de tuer les prophètes et de lapider ceux qui lui étaient envoyés (Matthieu 23:37) et qui a condamné à mort et crucifié son Messie. Non, le disciple n'est pas plus grand que son maître.

Cette grande ville que le texte assimile à Sodome et à l'Egypte, où s'assemblent tous ceux qui viennent contempler les cadavres des deux témoins et se réjouir des tribulations de l'Eglise, a une longue histoire. Mais elle ne figure sur aucune carte de ce monde, car cette citadelle de l'impiété est partout où des hommes se révoltent contre Dieu et écoutent la voix de Satan. C'était dans l'ancienne alliance Sodome, symbole de tous les vices, et l'Egypte, tyran du peuple de Dieu. Puis ce fut Babylone, l'ennemi juré du peuple de Dieu. Puis la Jérusalem apostate qui n'a pas voulu du Christ et de ses apôtres. Ensuite Rome, persécutrice des chrétiens. Et c'est maintenant tout lieu où on s'adonne à l'incrédulité, à l'impiété et au vice.

Leurs ennemis les virent :

Bien des gens ont vu Jésus vivant, mais personne ne l'a vu sortir de la tombe. Une poignée de disciples le vit remonter au ciel. Mais pour ce qui concerne la victoire des témoins du Christ, tous les hommes y assisteront, y compris leurs ennemis. Le jugement final avec la délivrance des croyants et la condamnation éternelle des incroyants se fera aux yeux de tous.

La grande ville..., Sodome et Egypte, là même où leur Seigneur a été crucifié :

C'est une allusion manifeste à Jérusalem, lieu de la crucifixion du Christ, mais une Jérusalem assimilée en raison de ses apostasies et de ses infidélités à Sodome et à l'Egypte. Il s'agit donc de l'Eglise. Non pas l'Eglise de Dieu, cachée et invisible aux hommes, mais l'Eglise telle qu'elle se manifeste et continuera de se manifester dans ce monde, avec ses infidélités, ses souillures, ses reniements et ses apostasies. L'Eglise de Dieu, l'assemblée des vrais croyants, est cachée au milieu d'une chrétienté apostate qui a renié Dieu et sa Parole. C'est au sein de cette chrétienté, qui ressemble tant à l'Israël infidèle de l'ancienne alliance, que la bête de Satan exerce ses ravages et qu'elle tue au sens propre mais aussi au sens figuré les fidèles serviteurs du Seigneur.

Des hommes d'entre les peuples, les tribus, les langues, les nations :

La persécution, la réduction au silence et la mise à mort des témoins de Dieu réjouiront d'innombrables hommes. La mention des peuples, tribus, langues et nations montre à elle seule que les deux témoins de notre vision ne sont pas deux individus précis chargés par Dieu d'annoncer l'Evangile aux juifs et de les convertir en masse à la fin des temps. Nous ne partageons pas les idées des millénialistes qui affirment qu'après la mission parmi les païens, l'Evangile sera pendant un certain temps annoncé exclusivement aux juifs qui se convertiront en masse avant le millénium.

Si la mort de ces deux témoins, représentants de tous les prédicateurs de l'Evangile, réjouit des hommes du monde entier, c'est parce qu'ils étaient chargés de leur annoncer à tous la Parole de Dieu. Dieu veut aussi le salut des juifs et il y oeuvre, mais il le leur propose de la même façon qu'aux païens, et ils l'obtiendront de la même manière qu'eux : maintenant, car c'est maintenant que l'Evangile retentit dans le monde entier. C'est maintenant que Dieu offre sa grâce aux uns comme aux autres, et c'est maintenant qu'ils doivent la saisir par la foi s'ils veulent avoir la vie éternelle.

Ils verront leurs cadavres pendant trois jours et demi :

Dernier outrage fait aux témoins de Dieu : on leur refuse une sépulture. Refuser une sépulture à un juif de l'époque et abandonner son cadavre aux animaux sauvages était le pire des châtiments qu'on puisse imaginer (1 Rois 14:11; 21:19). On leur réserve ainsi le sort des criminels, de ceux dont tout le monde a honte, qui n'ont personne pour leur rendre le dernier hommage. Et pour fêter l'événement, les nations se font des cadeaux. Le monde impie se réjouit des tribulations des messagers de Dieu. Mais leur silence est de courte durée : trois jours et demi. Encore une allusion au temps de l'Eglise. Après cela, l'esprit de Dieu rentre en eux et ils reviennent à la vie. Cette "résurrection" des deux témoins est un élément de la vision. C'est une façon imagée de dire que le silence de l'Evangile ne sera jamais que de courte durée, que le Seigneur suscitera toujours de nouveaux témoins.

Dieu ne ressuscitera pas plus ces deux témoins qu'il n'a ressuscité les prophètes Moïse et Elie. Par contre, il n'a cessé de susciter et d'envoyer dans le monde de nouveaux Moïse et de nouveaux Elie. A défaut d'avoir les dons et les talents de ces deux immenses prophètes, ils ont le même "patron", sont envoyés par le même Seigneur et investis de la même autorité, celle de la Parole de Dieu. Un témoin fidèle est remplacé par un autre. Le Christ s'est engagé à cela quand il envoya les apôtres dans le monde en les assurant que tout pouvoir lui avait été donné dans le ciel et sur la terre, et en leur promettant qu'il serait avec eux tous les jours jusqu'à la fin des temps. Il s'y était engagé aussi en déclarant qu'il ne reviendrait pas avant que l'Evangile ait été prêché dans le monde entier.

Après les trois jours et demi, un esprit de vie venant de Dieu entra en eux :

Les deux témoins imitent le Christ. Pas seulement dans sa vie et sa mort, mais aussi dans sa résurrection. Ils ressuscitent au bout de trois jours, comme le Christ (Marc 9:31). Plus précisément, trois jours et demi, qui correspondent aux trois ans et demi qu'a duré leur ministère. Le lecteur fera aisément le rapprochement avec les trois ans du ministère de Jésus. Enfin, comme le Christ, les deux témoins sont élevés au ciel, à l'appel d'une voix forte qui est manifestement celle de Dieu. Dans une nuée, s'il vous plaît, comme Jésus (Actes 1:9). Fidèles jusqu'au bout, ne reculant pas devant le martyre, ils participent à la gloire de leur Maître.

Montez ici ! ils montèrent au ciel dans la nuée :

Dieu récompense ses fidèles témoins. Il les reçoit dans son Royaume céleste où ils règnent éternellement avec lui. Et cela aux yeux de leurs ennemis, comme le souligne le texte. Ne l'oublions pas : la prophétie apocalyptique ignore souvent la perspective et situe à un même moment des événements distants dans le temps. Ce n'est pas au fur et à mesure qu'ils meurent, mais au jour du jugement que les ennemis de Dieu et de son Evangile verront ses fidèles témoins entrer dans la gloire. La scène décrite dans ce verset est celle racontée par Jésus dans Matthieu 25, où il séparera les brebis d'avec les boucs.

Il y eut un tremblement de terre... La dixième partie de la ville tomba. Sept mille hommes furent tués:

Comment ne pas songer au tremblement de terre qui secoua Jérusalem à l'heure où mourut son Messie (Matthieu 27:51-54; 28:2)? Seule une partie de la ville fut détruite. Sept mille de ses habitants périrent dans le séisme. C'est peut-être une allusion ironique aux sept mille hommes qui ne fléchirent pas les genoux devant Baal à l'époque d'Elie (1 Rois 19:18). Quant aux survivants, ils furent effrayés et rendirent gloire à Dieu. D'habitude, l'Apocalypse souligne que les hommes refusent de se repentir quand Dieu vient les juger et les punir. C'était le cas par exemple dans Apocalypse 9:21. Ici, elle affirme le contraire. C'est typique pour ce livre de la Bible, comme nous avons essayé de le montrer dans l'introduction. Jean voit tout à la fois; il embrasse d'un même regard toute l'histoire du monde qui se présente à ses yeux. Mais il ne peut pas tout décrire en même temps; alors il le fait par tranches, disant tantôt que les hommes se repentent et tantôt qu'ils persistent dans leur impénitence. La réponse des hommes est double. En cela aussi, les deux témoins ressemblent à leur Seigneur : ils suscitent chez les uns la foi et chez les autres l'hostilité et le rejet. Jérusalem tua son Sauveur, mais le capitaine païen qui avait procédé à son exécution et qui était le témoin légal de sa mort, rendit gloire à Dieu et confessa que Jésus était un juste et le Fils de Dieu (Luc 23:47; Marc 15:39). De même la païenne qu'était la femme de Ponce Pilate (Matthieu 27:19). Il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus (Matthieu 22:14). Mais c'est à cause de ces élus que le monde subsiste encore, sinon le Christ serait revenu depuis longtemps. C'est aussi à case d'eux que les derniers jours seront abrégés (Matthieu 24:22).

Tant que durera le temps de la grâce, les jugements de Dieu seront limités dans leur ampleur (un dixième de la ville, sept mille hommes) parce qu'il préfère sauver que châtier, et ils ont pour résultat que des hommes se convertissent et donnent gloire au Seigneur. Dans une chrétienté trop souvent infidèle et dans ce monde perdu il existe un reste que Dieu appelle et conduit au salut. Toujours par l'Evangile, au besoin en recourant aux tribulations et aux épreuves.

Nous aurons encore bien des fois l'occasion de parler de l'animal monstrueux aperçu par Jean, notamment en étudiant le chapitre 13. Contentons-nous pour l'instant de dire qu'il représente toutes les puissances du mensonge et du mal, tout l'arsenal dont se sert Satan pour s'opposer à la venue du règne de Dieu en empêchant ou en falsifiant la prédication de l'Evangile et en recourant pour cela aussi bien à toutes les formes de mensonges et de séductions qu'on peut imaginer qu'à l'intimidation, la haine et la violence.

 

La septième trompette : le troisième malheur


Le septième ange sonna de la trompette. Et il y eut dans le ciel de fortes voix qui disaient: Le royaume du monde est remis à notre Seigneur et à son Christ; et il régnera aux siècles des siècles. Et les vingt-quatre vieillards, qui étaient assis devant Dieu sur leurs trônes, se prosternèrent sur leurs faces, et ils adorèrent Dieu, en disant: Nous te rendons grâces, Seigneur Dieu tout-puissant, qui es, et qui étais, de ce que tu as saisi ta grande puissance et pris possession de ton règne. Les nations se sont irritées; et ta colère est venue, et le temps est venu de juger les morts, de récompenser tes serviteurs les prophètes, les saints et ceux qui craignent ton nom, les petits et les grands, et de détruire ceux qui détruisent la terre. Et le temple de Dieu dans le ciel fut ouvert, et l'arche de son alliance apparut dans son temple. Et il y eut des éclairs, des voix, des tonnerres, un tremblement de terre, et une forte grêle (Apocalypse 11:15-19).

Le septième ange sonna de la trompette :

Cette septième sonnerie de trompette introduit la vision du troisième malheur : «Voici le troisième malheur vient bientôt.» (V.14). Pour l'instant cependant, il ne fait l'objet d'aucune description. La fin de ce chapitre est tout sauf l'annonce d'un nouveau malheur. La fin de toutes choses est venue. L'heure des comptes est là. La vision accordée à Jean est la révélation finale du petit rouleau qu'on lui avait demandé d'avaler. Pour l'instant donc, l'Apocalypse fait l'impasse sur le troisième grand malheur qui frappera le monde avant le retour glorieux du Christ et annonce que l'heure du jugement est venue.

Le royaume du monde est remis à notre Seigneur et à son Christ :

On aurait pu croire le royaume du monde aux mains de Satan qui semblait y régner en maître tout- puissant. Il n'en est rien. Il appartient à Dieu qui a toujours régné. Satan n'a pu faire que ce que le Dieu du ciel et de la terre lui permettait de faire. Dieu et lui seul est Roi! Le mot traduit par «royaume» a un sens dynamique et désigne plutôt le règne ou la royauté, la domination et le gouvernement exercés par le Seigneur. Avec cette précision que l'Agneau de Dieu immolé pour le salut du monde participe à cette domination. Il est le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs (Apocalypse 19:16). Il régnera mille ans (Apocalypse 20:4-6), c'est-à-dire d'éternité en éternité (Apocalypse 22:5). Sa royauté est due au fait qu'il est «Christ», c'est-à-dire le Messie ou l'Oint. Elle est une conséquence de l'oeuvre de rédemption qu'il a accomplie. C'est parce qu'il a été obéissant jusqu'à la mort sur la croix que Dieu l'a souverainement élevé et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom (Philippiens 2:10).

Nous te rendons grâces, Seigneur Dieu tout-puissant :

L'Eglise qui est déjà dans le ciel, représentée par les vingt-quatre vieillards, glorifie et adore le Seigneur. Les vieillards sont assis sur des trônes qui symbolisent la participation des élus au règne de leur Dieu. Mais dans un acte d'allégeance ils quittent ces trônes et se prosternent devant leur Souverain. Ils le révèrent comme leur «Seigneur et son Christ». L'hymne céleste célèbre sa toute-puissance qu'il a déployée dans la faiblesse et l'ignominie de la croix. C'est là qu'il a remporté la victoire sur le péché, la mort et l'enfer (Colossiens 2:15). C'est encore un de ces textes que les Témoins de Jéhovah feraient bien de méditer et qui mettent sur un pied d'égalité Dieu et le Christ, tous les deux dignes de louange et d'honneur. Dieu est invoqué aussi comme le «Seigneur Dieu tout-puissant, qui es et qui étais». Il n'est plus besoin maintenant de dire «et qui viendras», car il est venu. La promesse de sa venue a été accomplie, la prière de l'Eglise exaucée.

Le temps est venu de juger les morts, de récompenser... et d'exterminer :

C'est le dernier chapitre dans le petit livre qu'on avait demandé à Jean d'avaler. Il était doux à la bouche et amer aux entrailles. L'annonce du retour du Christ pour le jugement du monde sera pour les uns une bonne nouvelle et pour les autres quelque chose de terrifiant. Dieu récompensera ses serviteurs les prophètes et tous les saints qui craignent son nom, et il exterminera les autres. La récompense divine est une récompense de grâce, quelque chose que personne ne peut mériter, mais que le Seigneur offrira à ceux qui ont craint son nom et qui l'ont servi fidèlement. Ils seront vengés du mal qu'on leur a fait dans ce monde et éternellement consolés.

Mais ce jour-là, Dieu exterminera aussi ceux qui «détruisent la terre». Dommage que dans la traduction de la Bible le jeu de mots «il détruira les destructeurs de la terre» ne soit pas rendu! Il y a des hommes qui détruisent la terre par leur impiété, les fausses doctrines qu'ils répandent, l'immoralité qu'ils prônent, le mépris de Dieu, de la vérité et de la justice qu'ils affichent. Ils passent leur vie à répandre dans ce monde un venin pernicieux, à semer les microbes et les bactéries de l'incrédulité, de la déchéance et de l'immoralité. Au lieu d'être des agents de vérité, des acteurs de piété et de justice, de sainteté et d'amour, d'espérance et de paix, ils égarent le monde par leurs mensonges et leurs iniquités. Dieu les attend au tournant. Quand le temps des nations qui est le temps de la grâce sera écoulé, il les fera comparaître devant son trône et leur versera le salaire qu'ils méritent. Les vingt-quatre vieillards célèbrent ainsi la souveraineté du Seigneur, chantent sa grâce et confessent sa justice.

Le temple dans le ciel fut ouvert... et l'arche de son alliance apparut :

L'accès au sanctuaire de l'ancienne alliance était réservé aux sacrificateurs et aux lévites. Les fidèles qui venaient adorer Dieu et lui apporter des sacrifices devaient se tenir en dehors de l'enceinte. Quant à l'arche de l'alliance dans le Saint des saints, que l'Apocalypse appelle ailleurs le trône de Dieu (Apocalypse 8:2-4), un épais voile en cachait la vue. Seul le souverain sacrificateur y pénétrait une fois par an pour faire l'expiation des péchés du peuple. C'est que les promesses de l'alliance ont trouvé leur accomplissement final. Le plan de Dieu est accompli. Le Seigneur et son Christ règnent éternellement et les élus partagent leur gloire et leur félicité dans un face-à-face qui les remplit de bonheur. «Bien- aimés, nous sommes maintenant enfants de Dieu, et ce que nous serons n'a pas encore été manifesté; mais nous savons que lorsque cela sera manifesté, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est» (1 Jean 3:2).

Les éclairs, les voix, les coups de tonnerre, le tremblement de terre et la forte grêle mentionnés dans le dernier verset de ce chapitre sont les symboles de la toute-puissance divine. Ils rappellent les phénomènes identiques, épaisse nuée, coups de tonnerre, éclairs et tremblement de terre, qui avaient accompagné l'apparition majestueuse de Dieu sur le mont Sinaï (Exode 19:9-18). Mais ce n'était à l'époque que la préfiguration de la glorieuse théophanie céleste, la révélation de la majesté divine aux yeux de tous les rachetés.

Constatons une nouvelle fois, avant de clore ce chapitre, le caractère cyclique des tableaux de l'Apocalypse. La vision que nous venons d'étudier reprend le même thème que celle du sixième sceau (Apocalypse 6:12-17). Quant au culte auquel nous a fait assister le texte, il prépare à la révélation des personnages et des scènes des chapitres suivants (Apocalypse 12 à 14). Il va être question du dragon et de ses deux bêtes qui s'en prennent à la femme qui accouche d'un enfant, c'est-à-dire à l'Eglise, le peuple de Dieu. Les éclairs, les voix, les tonnerres, le tremblement de terre et la grêle qui accompagnèrent l'ouverture du temple et l'apparition de l'arche de l'alliance rappellent que Dieu et son Christ gouvernent le monde et que tout, les joies et les tribulations, les actes de délivrance et les jugements, doit concourir au salut de son Eglise. Que le monde entier sache que Dieu et son Christ sont assis sur le trône et règnent éternellement!

 


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13-février-2001, Rev. David Milette.