COMMENTAIRE SUR PHILIPPIENS, par Dr. Wilbert Kreiss - index  COMMENTAIRE SUR PHILIPPIENS, par Dr. Wilbert Kreiss - index


 

ACTION DE GRACES ET PRIERE (1:3-11)

"Je rends grâces à mon Dieu de tout le souvenir que je garde de vous, ne cessant, dans toutes mes prières pour vous tous, de manifester ma joie au sujet de la part que vous prenez à l'Evangile, depuis le premier jour jusqu'à maintenant. Je suis persuadé que celui qui a commencé en vous cette bonne oeuvre la rendra parfaite pour le jour de Jésus-Christ. Il est juste que je pense ainsi de vous tous, parce que je vous porte dans mon coeur, soit dans mes liens, soit dans la défense et la confirmation de l'Evangile, vous qui tous participez à la même grâce que moi. Car Dieu m'est témoin que je vous chéris tous avec la tendresse de Jésus-Christ. Et ce que je demande dans mes prières, c'est que votre amour augmente de plus en plus en connaissance et en pleine intelligence, pour le discernement des choses les meilleures, afin que vous soyez purs et irréprochables pour le jour de Christ, remplis du fruit de justice qui est par Jésus-Christ, à la gloire et à la louange de Dieu" (1:1-11).

Vient maintenant une action de grâces, suivie d'une prière. L'apôtre exprime à Dieu sa joie et sa reconnaissance. C'est la première chose qu'il fait, après avoir salué ses lecteurs. Question: Et nous, où en sommes-nous avec nos actions de grâces et nos louanges? Qu'avons-nous à dire à Dieu pour tout le bien qu'il nous fait? Ou qu'il fait aux autres? Car, on l'aura remarqué, Paul ne s'attribue aucun mérite, c'est Dieu qu'il loue pour ce que sont devenus les Philippiens.

Je rends grâces à mon Dieu:

Paul rend grâces et loue. On aurait envie de dire: Enfin un pasteur heureux, content de ses paroissiens, et qui le dit non seulement à Dieu, mais aussi à ses ouailles! Un pasteur qui ne se plaint pas seulement, qui ne gémit pas à cause des difficultés de son ministère et de l'ingratitude ou de la tiédeur de ses fidèles, mais qui remercie le Seigneur pour les joies vécues et qui, lorsqu'il voit sa paroisse grandir dans la foi et l'amour, pense à le lui dire. Est-ce à dire que Philippes était une paroisse exceptionnelle, la perle rare dont tout pasteur voudrait pouvoir prendre soin, ou que Paul a été un pasteur unique en son genre, comme l'Eglise en produit deux ou trois par siècle? Qu'il a eu de la chance d'avoir une telle paroisse, ou sa paroisse d'avoir un tel pasteur, le meilleur de l'époque, un surdoué du ministère? Non, je ne le pense pas. D'autres textes du Nouveau Testament révèlent les faiblesses du grand homme qu'il a été, et l'épître aux Philippiens montre que dans l'Eglise de cette ville tout n'était pas pour le mieux dans le meilleur des mondes.

La reconnaissance de Paul est tellement réelle et sincère que les mots se bousculent (V.3-5, où le V.4 est une sorte de parenthèse). Mais passons sur les détails pour en arriver tout de suite à la chose la plus importante. Pour quoi l'apôtre rend-il grâces à Dieu? Qu'est-ce qui l'incite à le remercier? Réponse:

La part que vous prenez à l'Evangile:

Le mot grec traduit ainsi (koinônia) exprime la participation à quelque chose, le fait qu'on y a part et qu'on en bénéficie. Pris dans ce sens, l'apôtre remercie Dieu de ce que par la conversion et la foi en Jésus, les chrétiens de Philippes ont part aux promesses et bénédictions de l'Evangile, à tout ce qu'il offre à ceux qui le reçoivent d'un coeur croyant (grâce, pardon, paix, joie, espérance, salut, etc.). Et un prédicateur a de quoi remercier Dieu, quand il constate que l'Evangile prêché par lui a porté des fruits, qu'il s'est manifesté comme une puissance de salut, amenant des pécheurs à Jésus-Christ.

Mais si on traduit comme Segond ou la TOB par "la part que vous prenez à l'Evangile", on laisse entendre que Paul remercie Dieu de ce que les Philippiens ont pris part à l'annonce de l'Evangile, donc à l'évangélisation. C'est encore plus clair dans la Bible du Semeur: "Je remercie Dieu car... par le soutien que vous m'avez apporté, vous avez contribué à l'annonce de la Bonne Nouvelle". Dans ce cas, l'apôtre n'y va pas par quatre chemins. Il parle gros sous et en remercie le Seigneur, et si la première interprétation est biblique et belle, il se pourrait que cette deuxième corresponde mieux à ce que l'apôtre veut exprimer ici. Signalons que dans Romains 15:26 et 2 Corinthiens 9:13 où il est également question d'argent, il emploie en grec le même mot koinônia. Et puis, c'est vrai, dans notre épître, il ne cache pas la joie qu'il a éprouvée quand on lui a remis de l'argent de la part des Philippiens (4:14-16). Toute aide matérielle donnée à un prédicateur lui permet de prêcher l'Evangile et d'accomplir sa mission. C'est une participation active à cette mission. Les dons des chrétiens ne devraient jamais être la seule façon pour eux d'y participer, car il leur est aussi demandé de témoigner personnellement, mais celui qui ne donne pas pour la mission ou qui donne chichement montre qu'il lui importe peu que l'Evangile soit annoncé.

Alors si l'idée nous prenait de dire à l'apôtre: "C'est donc si important, cette histoire d'argent, pour que tu la mentionnes comme cela, tout de suite, avant de parler d'autre chose?", il nous répondrait sans doute: "Oui, et pour deux raisons: 1) On ne prêche pas l'Evangile sans dépenser de l'argent. 2) Quand on donne de l'argent pour que l'Evangile soit prêché, on montre qu'on a le coeur au bon endroit". Petite question que tout chrétien devrait se poser et que son pasteur peut l'aider à se poser: Sait-il que Dieu a besoin de son argent pour annoncer le salut au monde? Sait-il aussi que ce même Dieu voit dans sa cotisation, si modeste soit-elle, un baromètre de sa foi et de l'intérêt qu'il porte à l'Evangile?

Paul souligne aussi la constance des Philippiens: "depuis le premier jour jusqu'à maintenant". C'est ce qui fait la force d'une Eglise: la générosité qui n'est pas du genre feu de paille, mais constante, persévérante, régulière, quelque chose sur quoi l'Eglise peut compter et qui lui permet d'évaluer les recettes à venir et de planifier les dépenses.

L'apôtre a parlé du passé et du présent. Il évoque maintenant l'avenir:

Je suis persuadé que celui qui a commencé en vous cette bonne oeuvre la rendra parfaite pour le jour de Jésus-Christ:

Soli Deo gloria! C'est le Seigneur qui fait tout cela: "Celui qui a commencé en vous cette bonne oeuvre la rendra parfaite". Les Philippiens participent à l'Evangile, ont part à tous ses bienfaits et montrent leur foi en Christ et leur amour pour la mission par leurs dons en argent. Dieu a commencé cela en eux et c'est lui qui l'achèvera. En d'autres termes: tout, le début et la fin, la conversion et la persévérance, la foi en Christ et la sanctification, est son oeuvre. Sans lui nous ne pouvons rien faire. Trouvez dans la Bible quelques textes qui l'affirment et consultez pour cela les chapitres de la dogmatique consacrés à la sanctification et la persévérance.

Le jour de Jésus-Christ:

L'oeuvre du salut sera accomplie ce jour-là. Pas avant! C'est le dernier jour, bien sûr. Ce que l'Ancien Testament appelle le "jour de l'Eternel", jour terrible et redoutable (Esaïe 24:21-23; 25:8.9; Jérémie 33:15.16, etc.), et que l'apôtre appelle le "jour de Jésus-Christ". Essayez d'expliquer pourquoi c'est le jour du Christ et pourquoi, bien que ce jour-là il vienne juger les vivants et les morts, c'est un jour de joie et de bonheur. Trouvez le texte où Jésus invite les siens à la joie, leur demande de lever leurs têtes, car leur "délivrance approche".

Je vous porte tous dans mon coeur... Je vous chéris avec la tendresse de Jésus-Christ:

Rarement l'apôtre a été aussi expansif. Il laisse parler son coeur et recourt même à un serment ("Dieu m'est témoin que") pour assurer les Philippiens de sa "tendresse", ou plutôt de "la tendresse de Jésus-Christ". Cet amour lui vient du Christ. Ce n'est pas l'affection naturelle qu'on peut ressentir pour des gens avec qui on a des atomes crochus, mais un fruit de la foi, une oeuvre du Saint-Esprit. Et si les pasteurs disaient de temps en temps à leur paroisse et à leurs fidèles qu'ils les chérissent et les aiment? Pas pour verser dans la sensiblerie (qui voudrait reprocher cela à Paul?), mais tout simplement parce que c'est vrai? Un mari qui aime sa femme le lui dit ou le lui montre de temps en temps, sinon elle est en droit d'en douter. Alors pourquoi le berger ne dirait-il pas de temps en temps à son troupeau qu'il l'aime?

Paul est en prison. C'est ce qui explique peut-être pourquoi il se livre à des confidences plus qu'il ne le fait lorsqu'il est en pleine action. C'est "juste", précise-t-il, et il explique pourquoi: il les porte dans son coeur. Et pourquoi les porte-t-il dans son coeur? Parce qu'ils participent à "la même grâce" que lui. Il vivent de la même miséricorde divine et du même pardon, sont revêtus du même Christ et de sa justice parfaite, ont la même foi et la même espérance dans le coeur, marchent sur le même chemin et se dirigent vers le même but. Voilà bien des choses possédées en commun, et des choses importantes, capitales. C'est plus fort que le lien du sang, de la langue, de la culture. Quand on a tout cela en commun, il y a là de quoi s'aimer et se chérir. C'est en le rappelant aux chrétiens qu'on les exhorte à l'amour et à la sanctification.

Paul est heureux, malgré la prison et les chaînes. Il a appris à transcender ses souffrances personnelles et à se réjouir de ses tribulations. Elles servent en effet à la "défense" et la "confirmation" de l'Evangile. C'est pour l'Evangile qu'il est en prison. C'est donc l'Evangile qu'il aura à défendre devant ses juges. Et cela, l'apôtre s'en réjouit. Attention: Il ne prétend pas convertir les juges, les huissiers, les gardiens de prison et les bourreaux. C'est de toutes façons l'oeuvre du Seigneur et pas la sienne. Mais tous ces gens sauront pourquoi il est dans les chaînes, pour quel Maître il encourt ses tribulations et subira la mort. Au moins auront-ils entendu l'Evangile et leur aura-t-on parlé de Jésus-Christ. C'est la seule chose qui compte. Nous ne sommes pas chargés de sauver le monde, mais de lui annoncer que Dieu veut le sauver. A chacun sa mission: à nous la nôtre, au Saint-Esprit la sienne! Faisons notre travail, il saura faire le sien! Alors Paul n'attend que l'occasion de comparaître devant les magistrats de l'empereur. Tout le reste, la privation de liberté, le dénuement, la maigre pitance à laquelle il a droit et que les Philippiens ont voulu améliorer par leurs dons, l'humiliation et peut-être la mort prochaine, devient accessoire.

"Je vous chéris tous avec la tendresse de Jésus-Christ". N'a-t-il pas écrit ailleurs : "Ce n'est plus moi qui vis, c'est Christ qui vit en moi" (Galates 2:20)? Dans ce cas, c'est le propre coeur de Jésus qui bat dans la poitrine de l'apôtre, et si cela est vrai, il ne peut qu'aimer les Philippiens comme Jésus les aime. Il est pour eux le miroir de l'amour du Christ.

L'action de grâces était devenue protestation d'amitié. Elle devient maintenant intercession. Il "demande" quelque chose à Dieu: que l'amour des Philippiens "augmente de plus en plus". Il est là et a déjà porté des fruits. Paul souhaite qu'il abonde de plus en plus, qu'ils fassent encore des progrès. Qu'il devienne encore plus fort, mais aussi plus pur, plus vrai. Pour cela il faut qu'il augmente "en connaissance et en pleine intelligence". Pour que l'amour soit vraiment chrétien et qu'il grandisse, il faut qu'il plonge ses racines dans une connaissance de plus en plus grande des merveilleuses vérités de l'Evangile et dans l'intelligence de ces vérités. Il faut que les Philippiens comprennent toujours mieux à quel point Dieu les aime en Jésus-Christ, et qu'ils en fassent l'expérience dans la vie de tous les jours. Alors leur foi grandira, et avec leur foi, l'amour.

Pour le discernement les choses les meilleures:

L'apôtre utilise un mot qui signifie en réalité "tester", "vérifier". On teste l'or ou l'argent, pour savoir s'il est pur. C'est ainsi que les chrétiens sont appelés à tester toutes choses pour découvrir quelles sont les meilleures, faire la différence entre le bien et le mal, entre ce qui est utile et ce qui ne l'est pas, ce qui contribue au salut et ce qui lui nuit. Et pour cela, il faut de la connaissance et de l'intelligence, des aptitudes qu'on n'acquiert pas au lycée ou à l'université, à force de décrocher des diplômes, mais à l'école de Jésus-Christ.

Une fois de plus, l'apôtre dirige nos regards vers le "jour de Christ" (V.10). Eh oui, tout se décidera ce jour-là. Paul veut que nous portions pour ce jour beaucoup de fruits, tel un bon arbre (Matthieu 7:17-19; Jean 15:5), que nous en apportions une corbeille pleine à celui qui nous a tant aimés.

Purs et irréprochables:

Jésus veut, au dernier jour, présenter son Eglise à Dieu comme une épouse pure, irréprochable, "glorieuse, sans tache, ni ride, ni rien de semblable, mais sainte et irréprochable" (Ephésiens 5:27).

A la gloire et à la louange de Dieu:

Encore une fois: Soli Deo gloria! Dans tout ce qu'il fait, Dieu veut glorifier son nom. Tout, notre rédemption par le Christ, notre conversion, notre salut par la foi, notre marche avec le Seigneur, notre sanctification et notre persévérance, doit contribuer à sa louange et sa gloire (Ephésiens 1:6.12.14). Y compris les fruits que nous portons: "Si vous portez du fruit, c'est ainsi que mon Père sera glorifié et que vous serez mes disciples" (Jean 15:8).

L'action de grâces devient ainsi doxologie. Cf. par exemple Ephésiens 1:14. Essayez d'en trouver encore quelques autres dans le Nouveau Testament. Le but ultime de la vie de tout chrétien doit être de célébrer le nom de son Dieu, de le louer, de l'exalter et de le glorifier. Ici-bas, du mieux qu'il peut, et un jour dans l'éternité, de façon parfaite, avec tous les anges et les bienheureux. Le Seigneur a réellement droit à cela.

 

Questions de révision et exercices: