COMMENTAIRE SUR PHILIPPIENS, par Dr. Wilbert Kreiss - index  COMMENTAIRE SUR PHILIPPIENS, par Dr. Wilbert Kreiss - index


 

EXHORTATION A UNE VIE DIGNE DE L'EVANGILE (1:27-2:18)

 

L'unité de l'Esprit:

"Seulement, conduisez-vous d'une manière digne de l'Evangile de Christ, afin que, soit que je vienne vous voir, soit que je reste absent, j'entende dire de vous que vous demeurez fermes dans un même esprit, combattant d'une même âme pour la foi de l'Evangile, sans vous laisser aucunement effrayer par les adversaires, ce qui est pour eux une preuve de perdition, mais pour vous de salut. Et cela vient de Dieu, car il vous a fait la grâce, par rapport à Christ, non seulement de croire en lui, mais encore de souffrir pour lui, en soutenant le même combat que vous m'avez vu soutenir et que vous apprenez maintenant que je soutiens" (1:27-30).

L'apôtre demande maintenant à ses lecteurs de Philippes de se conduire chrétiennement, c'est-à-dire d'être en toutes circonstances à la hauteur de leur foi et de leur espérance.

D'une manière digne de l'Evangile de Christ:

L'Evangile n'est pas une Loi avec ses préceptes et ses clauses, nous imposant une norme de conduite. C'est la bonne nouvelle du salut en Jésus-Christ. Il ne prescrit rien, mais promet des choses merveilleuses, des grâces et des bénédictions extraordinaires. Vivre d'une manière digne de l'Evangile signifie donc mener une vie qui soit à la hauteur des promesses de pardon et de salut qui y sont faites. La vie des chrétiens doit être le reflet de ce que l'Evangile a fait d'eux, le reflet de leur statut d'élus, de "saints", de pécheurs rachetés, d'enfants de Dieu et d'héritiers de la vie éternelle.

Paul demande aux chrétiens de Philippes d'être "fermes dans un même esprit" et de combattre "d'une même âme" pour la foi de l'Evangile. C'est un appel à l'unité, au consensus, à la communion spirituelle la plus profonde. Qu'ils s'attellent d'un même coeur à une même tâche, et combattent comme un seul homme. On nous dit des premiers chrétiens de Jérusalem que "la multitude de ceux qui avaient cru n'était qu'un coeur et qu'une âme" (Actes 4:32). Paul rappelle ailleurs qu'il y a "un seul corps et un seul Esprit, comme aussi vous avez été appelés à une seule espérance par votre vocation. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous et parmi tous et en tous" (Ephésiens 4:4-6).

Les chrétiens sont tous unis par la foi en un même Seigneur et Sauveur. Qu'ils vivent cette unité, qu'ils la mettent en pratique et fassent tout pour la préserver! Et de rappeler que la vie chrétienne est un combat, un combat pour "la foi de l'Evangile", c'est-à-dire pour les grandioses vérités révélées en lui. C'est "la foi transmise aux saints une fois pour toutes" (Jude 3), pour laquelle il faut se battre, car elle a tant d'ennemis dans ce monde et jusque dans l'Eglise. Ce n'est que lorsqu'il arrive au terme de sa vie qu'un chrétien peut dire avec l'apôtre qu'il a combattu le bon combat de la foi, qu'il a achevé la course et que la couronne de vie l'attend dans le ciel (2 Timothée 4:7). Il faut se battre jusqu'au bout pour vaincre.

Ce faisant, les croyants sont encouragés à ne pas craindre leurs adversaires, ceux qui peuvent tuer le corps mais qui ne peuvent pas tuer l'âme (Matthieu 10:28). Le combat même que ces derniers mènent contre l'Evangile est la preuve qu'ils sont sur le chemin de la perdition, et pour les chrétiens le gage du salut qui les attend. Il existe une perdition éternelle et un salut éternel. Dieu n'a prédestiné aucun homme à être éternellement condamné, mais veut les sauver tous. Mais il est vrai que tous ceux qui méprisent, rejettent l'Evangile et luttent contre lui périront éternellement, tout comme le bon combat mené par les chrétiens est le témoignage visible de leur appartenance au Christ.

La grâce... de croire..., de souffrir...:

Le croyant bénéficie d'une double grâce. Dieu lui fait la grâce de croire en Christ et de souffrir pour lui. La "grâce de croire": la foi en effet est un don de Dieu. "Je crois que je ne puis par ma raison et mes propres forces croire en Jésus-Christ, mon Seigneur, ni aller à lui" (Luther, Petit Catéchisme). La foi du coeur, celle qui a fait l'expérience de la puissance de l'Evangile, qui a découvert en Christ le Sauveur du monde et qui saisit ses grâces est l'oeuvre du Seigneur. L'Evangile en effet est scandale et folie (1 Corinthiens 1:18.23), quelque chose que l'homme naturel ne peut pas comprendre (1 Corinthiens 2:14), un mystère inaccessible au coeur humain. Il faut, pour le croire, être régénéré par le Saint-Esprit. Si à l'heure présente nous croyons en Jésus-Christ, nous le devons à Dieu seul qui a eu pitié de nous et a illuminé nos coeurs. Cf. l'affirmation du monergisme divin dans la doctrine de la conversion.

Mais c'est aussi une grâce de souffrir pour le Christ. Cela aussi, c'est insensé et scandaleux. Mais biblique! Les souffrances qu'un chrétien endure à cause du Christ viennent de Dieu. Elles ont pour cause sa foi en Jésus et la haine du monde. Elles peuvent donc être une grâce. J'ai bien dit "elles peuvent", car en elles-mêmes elles ne sont pas cela, mais plutôt une calamité, une source de tristesse, de larmes, de craintes. Mais le Christ pour lequel le chrétien supporte les souffrances et l'espérance qui y est attachée en font une grâce. Elles sont alors la pierre de touche de la sincérité de nos convictions, le gage irréfutable de notre appartenance au Seigneur, et en même temps génératrices de persévérance et d'espérance (Romains 5:1-5). Le chrétien ne recherche pas les souffrances; il n'est pas masochiste. Mais il ne les fuit pas non plus. Il sait pourquoi elles sont là, les bénédictions que Dieu peut leur faire produire dans sa vie, les forces qu'il recevra pour les supporter avec foi, et la récompense qui l'attend dans le ciel.

Le même combat que vous m'avez vu soutenir:

Paul fait peut-être allusion à ce qu'il a enduré à Philippes. Il avait chassé l'esprit impur qui habitait dans le coeur d'une voyante, privant ses maîtres d'une importante source de gains, à la suite de quoi on l'avait jeté en prison (Actes 16:16-24; 1 Thessaloniciens 2:2). Cela, les

chrétiens de Philippes l'avaient vu ou en avaient entendu parler. Mais ce n'était qu'un épisode dans la lutte acharnée que l'apôtre menait contre les puissances du mensonge et du mal qui règnent dans ce monde et s'opposent à l'Evangile libérateur du Christ.

Les Philippiens, précise Paul, endurent les mêmes souffrances que l'apôtre. Un peu moins que lui, mais les mêmes. Ce n'est pas un détail, mais l'affirmation qu'ils mènent le même combat que lui, parce qu'ils ont dans le ciel le même Maître et dans le coeur la même foi que lui. Et bien sûr, dans l'éternité, une même couronne qui les attend. Autant de raisons pour ne pas se relâcher, mais persévérer avec courage, en n'oubliant pas que c'est au prix d'un combat réel et constant qu'on parvient au salut, qu'on soit apôtre ou non. Alors, si déjà nous sommes unis dans la foi, soyons-le aussi dans le combat, pour l'être un jour dans la même victoire!

 

L'humilité et la modestie:

"Si donc il y a quelque consolation en Christ, s'il y a quelque soulagement dans l'amour, s'il y a quelque communion d'esprit, s'il y a quelque compassion et quelque miséricorde, rendez ma joie parfaite, ayant un même sentiment, un même amour, une même âme, une même pensée. Ne faites rien par esprit de parti ou par vaine gloire, mais que l'humilité vous fasse regarder les uns les autres comme étant au-dessus de vous-mêmes. Que chacun de vous, au lieu de considérer ses propres intérêts, considère aussi ceux des autres. Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus-Christ: existant en forme de Dieu, il n'a point regardé son égalité avec Dieu comme une proie à arracher, mais il s'est dépouillé lui-même, en prenant une forme de serviteur, en devenant semblable aux hommes; et il a paru comme un vrai homme, il s'est humilié lui-même, se rendant obéissant jusqu'à la mort, même jusqu'à la mort de la croix. C'est pourquoi aussi Dieu l'a souverainement élevé et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père" (2:1-11).

Passons sur certaines questions de syntaxe soulevées par les premiers versets de ce deuxième chapitre de l'épître. Elles sont pour les spécialistes et n'apportent pas grand-chose à la compréhension du texte. L'apôtre Paul, ayant exhorté ses lecteurs à l'unité de l'esprit, les invite à la modestie et l'humilité, en leur donnant un exemple grandiose, Jésus-Christ.

Consolation..., soulagement dans l'amour..., communion d'esprit..., compassion..., miséricorde:

Paul, le père spirituel de l'Eglise de Philippes, semble inquiet. Sans doute a-t-il eu vent de quelques divisions qui la secouent et la menacent. Alors il met tout en oeuvre pour lutter contre cela. Il a déjà exhorté à l'unité de l'esprit (1:27-30). Il faut y ajouter maintenant une notion supplémentaire, la modestie et l'humilité. Il fait donc appel aux sentiments chrétiens les plus nobles: consolation (la traduction "exhortation" serait sans doute préférable), amour qui soulage au lieu de diviser, communion d'esprit, compassion et miséricorde.

L'apôtre s'exprime au conditionnel: "Si tout cela existe", et il sait que cela existe à Philippes. Sinon comment aurait-il pu écrire les premiers versets de l'épître? Mais si tout cela existe, il faut en accepter la conclusion qui s'impose. Il faut vivre dans l'unité et la communion les plus étroites et mettre fin à toute dissension. "Sinon il faudra quand même que vous vous interrogiez sur votre relation avec Dieu!" "Rendez ma joie parfaite", mettez le comble à ma joie (encore elle!). Le ton reste affectueux et paternel. Paul pourrait être ferme et dur, faire preuve d'autorité, exiger l'obéissance. Il préfère faire appel à leurs sentiments, leur parler comme un père le fait à ses enfants.

"Un même sentiment, un même amour, une même âme, une même pensée". Les membres d'une Eglise sont très différents les uns des autres. Ils diffèrent par le sexe, l'âge, la condition sociale, l'éducation, l'expérience, les goûts, bien souvent la race, l'origine ethnique, la langue, la culture, l'origine religieuse, et tant d'autres choses encore. Tout cela pourrait être dans l'Eglise le ferment d'une belle pagaille, la source de querelles, de divisions, de mésententes, de rivalités et de jalousies sans fin. Mais il ne faut pas qu'il en soit ainsi dans l'Eglise de Dieu, car par-delà toutes ces différences, les chrétiens sont unis par "un même sentiment, un même amour, une même âme, une même pensée". C'est là le ciment qui les relie les uns aux autres.

Pas "d'esprit de parti" (2:3), de rivalité semblable à celle rencontrée à Rome (1:17). Mais pas non plus de "vaine gloire" (2:3). Et c'est de cela que l'apôtre va parler maintenant. Il va exhorter à la modestie et l'humilité. Cette humilité qui en grec profane était synonyme de bassesse inspirant dédain et mépris, est dans la théologie du Christ et de ses apôtres une vertu. Une des plus belles, car une des plus précieuses. Mais aussi une des plus rares.

Une des plus précieuses. Elle seule, conjuguée à l'amour, permet de combattre les divisions et de surmonter les querelles. Et sans pour autant inspirer le dédain et le mépris! Vivre dans l'humilité, ce n'est pas faire preuve de faiblesse, c'est au contraire déployer une grande force. Ce n'est pas capituler, mais vaincre. "Que l'humilité vous fasse regarder les autres comme étant au-dessus de vous-mêmes". Agir ainsi, ce n'est pas me rabaisser, au nom d'un complexe d'infériorité, mais c'est élever l'autre. Ce n'est pas me dénigrer de façon morbide, mais estimer l'autre à sa juste valeur.

Pour ce faire, il faut savoir se libérer de soi-même, ne plus être son propre esclave, ne plus s'idolâtrer, rompre les chaînes du nombrilisme, de l'égoïsme et de l'égocentrisme, ne pas se braquer sur ses propres intérêts, mais considérer aussi ceux des autres (V.4). Et cela ne peut être que le fruit d'un véritable travail intérieur accompli par l'Esprit de Dieu. L'humilité est si difficile à apprendre, et la fausse humilité a si vite fait d'engendrer amertume et... orgueil! Cela ne peut s'apprendre qu'à l'école d'un autre, Jésus-Christ. C'est vers lui qu'il faut élever les regards. En disant: "Jésus-Christ est Seigneur", les chrétiens font un acte d'allégeance. Ils se soumettent à lui dans l'humilité et l'obéissance. Dire: "Jésus-Christ est Seigneur", c'est se soumettre à celui qui s'est lui-même soumis à Dieu et marcher sur ses traces.

Et nous voici prêts à aborder un des plus beaux textes du Nouveau Testament, un véritable hymne au Christ. Ayant appelé ses lecteurs à une humilité semblable à la sienne, l'apôtre se lance dans tout un exposé doctrinal. Il a l'habitude de ce genre de digressions (1 Corinthiens 13; Ephésiens 5:22-29), et ce n'est pas de l'étourderie, car il revient immanquablement à son sujet. On pense généralement que les versets 5 à 11 sont un cantique que Paul aurait emprunté à la liturgie chrétienne de son époque. Dès lors, ces paroles ne sont pas de lui, mais, inspiré par le Saint-Esprit, il les a insérées dans son épître. C'est la structure même du texte qui voudrait cela. Pourquoi pas? Il existe encore d'autres textes qu'on a tendance à considérer comme des emprunts liturgiques ou hymnologiques (1 Timothée 4:16; Ephésiens 1:3-14; Colossiens 1:13-20).

L'hymne a deux strophes. L'une chante l'humiliation, l'abaissement de Jésus (V.5-8), l'autre confesse sa glorification et son exaltation à la droite du Père (V.9-11). C'est par définition le fondement biblique de la doctrine des deux états du Christ.

L'apôtre demande aux chrétiens d'avoir les mêmes sentiments que Jésus-Christ (V.5). C'est logique et normal. On ne peut pas être chrétien et donc porter le nom du Christ, si on est animé d'autres sentiments et qu'on a une autre mentalité que lui, si on a un coeur différent du sien et qu'on aspire à d'autres choses. Alors que dit l'apôtre de Jésus, et en quoi celui-ci est-il pour nous un modèle d'humilité?

Forme de Dieu..., égalité avec Dieu:

Jésus était en forme de Dieu (Segond), de condition divine (TOB, Bible du Semeur). Cela signifie non seulement qu'il était Dieu, mais qu'il se comportait aussi comme Dieu. On peut être roi sans vivre comme un roi, sans occuper le rang d'un monarque. C'est par exemple le cas d'un roi en exil ou d'un roi qui, pour une raison ou une autre, renonce momentanément à l'exercice de son pouvoir. C'est très exactement ce qu'a fait Jésus. Il "existait en forme de Dieu". Avant de s'incarner pour notre salut, il régnait dans le ciel, couvert de majesté et de gloire, au même titre que son Père. Il était égal à Dieu, et il l'est toujours resté, même à Bethléhem et à Golgotha, mais il n'a pas voulu s'en prévaloir. Il n'a pas regardé cela "comme une proie à arracher" (Segond, TOB), comme quelque chose dont il aurait pu profiter (Bible du Semeur). Paul emploie une image que toutes les traductions ne rendent pas: Jésus, dit-il, ne s'est pas comporté comme un héros qui revient du combat et qui brandit ses trophées pour susciter l'admiration et déclencher les applaudissements. Ce n'était pas son genre... Il était Dieu, même au plus profond de son abaissement, mais il n'en a pas fait étalage. Il n'a pas paradé avec sa divinité. Il aurait pu le faire, mais il n'était pas venu pour cela sur terre. Bien au contraire!

Dépouillé..., forme de serviteur..., semblable aux hommes..., vrai homme..., humilié..., obéissant jusqu'à la mort:

Voilà ce qu'il a fait. C'est tout le contraire de ce qu'il était dans le ciel. De riche qu'il était, il s'est vraiment fait pauvre, pour nous enrichir par sa pauvreté (2 Corinthiens 8:9). Il a échangé la "forme de Dieu" contre une "forme de serviteur", c'est-à-dire sa condition et son rang divins contre la condition et le rang d'un serviteur. D'un esclave, faudrait-il dire. Il s'est "dépouillé" (littéralement "vidé") non pas de sa divinité, mais de ses prérogatives divines, de son statut de Fils de Dieu. Il s'est comporté non pas comme le Créateur du ciel et de la terre, mais comme une créature; non pas comme Dieu, mais comme un homme. Lui qui était Dieu et qui l'est toujours resté, avait les apparences et l'allure d'un homme. Il était né d'une femme, dans une étable, a grandi comme tout enfant, vécu comme un S.D.F. (sans domicile fixe), mangé et bu, mais aussi connu la faim et la soif. Il dormait, mais n'avait pas toujours où reposer sa tête. Il a vécu tristesses, peines et déceptions. Il a pleuré, gémi et tremblé de peur. Si on excepte l'autorité majestueuse avec laquelle il enseignait, ses miracles et la transfiguration, il avait tout d'un homme, et rien ne le distinguait de ses semblables. Si, une chose: il était né sans péché et n'en a jamais commis! Mais à part cela, il était difficile, quand on le voyait et l'écoutait, de déceler en lui autre chose qu'un homme.

Pire: Il s'est comporté comme un serviteur, a été humble et obéissant comme un esclave. Et cela jusqu'à la mort. Et pas n'importe laquelle: la mort de la croix. Le supplice atroce réservé aux esclaves. Rejeté par son propre peuple qu'il n'a fait qu'aimer et servir pendant tout son séjour dans ce monde, faussement accusé de sédition, condamné soi-disant comme blasphémateur, objet de la haine et de la risée de tous, juifs et païens, Jésus a achevé sa carrière sur une croix, entre deux brigands. Et pourtant il était jusque dans son agonie le "prince de la vie" (Actes 3:15). Voilà jusqu'au il est allé dans son humilité, dans son renoncement à lui-même et sa volonté de servir et de sauver ses frères.

Souverainement élevé..., le nom qui est au-dessus de tout nom..., que tout genou fléchisse... Seigneur...:

Dieu lui a tout restitué, lui a rendu tout ce qu'il possédait, la gloire qu'il avait auprès de lui, avant que le monde fût (Jean 17:5), sa majesté, son rang et son statut de Fils de Dieu. Mieux que cela: Il l'a souverainement élevé, élevé et assis à sa droite, "au-dessus de toute domination, de toute autorité, de toute puissance, de toute dignité et de tout nom qui peut être nommé non seulement dans le siècle présent, mais encore dans le siècle à venir" (Ephésiens 1:20.21). Il a mis toutes choses sous ses pieds (1 Corinthiens 15:24-27; Hébreux 2:8.9). Il a fait de lui son "lieu-tenant", celui à qui il a confié le gouvernement de toutes choses, du ciel et de la terre, et, bien sûr, de l'Eglise. "Afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse... et que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur".

Jésus est Seigneur. Or Jésus signifie "Sauveur". Dieu a donc fait du Sauveur du monde le Seigneur du monde. C'est beau, cela, et si consolant. Celui qui tient toutes choses dans ses mains est celui-là même qui a versé son sang en rançon pour les péchés du monde. Celui qui nous gouverne est celui qui nous a sauvés. Le Tout-Puissant qui est le maître de nos vies est le Miséricordieux qui a donné la sienne pour que nous vivions.

Dans les cieux, sur la terre et sous la terre:

Le monde entier doit le savoir. Fléchir les genoux et confesser: les deux actes se complètent. En fléchissant les genoux devant quelqu'un, on reconnaît sa souveraineté. En confessant, on la proclame. "Dans les cieux": qui ne songerait aux anges et aux bienheureux, c'est-à-dire à tous les chrétiens qui sont déjà là-haut, autour du trône de Dieu et de l'Agneau? "Sur la terre": ce sont les hommes, bien sûr. A l'heure actuelle, les croyants, car eux seuls confessent que Jésus est Seigneur. Mais un jour ce seront tous les hommes, les vivants et les morts que le Christ viendra juger, car tous, y compris les incroyants, les mécréants, les blasphémateurs, tous ceux qui ont voulu vivre sans lui et se sont moqués de lui, devront confesser qu'il est Seigneur. Mais pour eux, ce sera trop tard. Ils s'en mordront les doigts et connaîtront des remords éternels.

"Sous la terre": les démons, sans doute, et tous les damnés. Un peu gênant quand même, parce que l'enfer n'est pas "en bas", "sous la terre", même si nous disons dans le Credo que Jésus-Christ y est "descendu". Il est vrai aussi que le ciel n'est pas "en haut", au-dessus de la terre, mais tout au plus autour d'elle, et pourtant on a l'habitude de parler ainsi, de dire que Jésus est "monté" au ciel, et on en a le droit. Tout est relatif. Mais il se pourrait tout aussi bien que l'expression "dans les cieux, sur la terre et sous la terre" soit tout simplement une façon de dire "tout". Toutes les créatures, sans exception aucune. Les uns confesseront la seigneurie de Jésus de bon gré, les autres à contre-coeur. Mais ils le feront quand même, et ce sera tant pis pour eux, car Jésus voulait qu'ils le fassent de bon coeur et le leur a suffisamment dit, quand ils étaient encore de ce monde.

Tout cela, bien sûr, "à la gloire de Dieu le Père". Ad majorem Dei gloriam, comme toujours. Le salut que Jésus est venu apporter au monde au prix de son abaissement, de son humiliation et de son obéissance jusqu'à la mort sur la croix, et la seigneurie sur toutes choses que son Père lui a confiée n'ont qu'un but: glorifier l'immense amour de Dieu, tout en exaltant sa justice.

Un coup d'oeil dans le chapitre que la dogmatique consacre aux "deux états du Christ" sera utile. Il rappellera que son abaissement consista en ce qu'il a renoncé, depuis son incarnation jusqu'à sa mort, à l'usage plein et majestueux de sa gloire divine et des attributs qui la révèlent. Tout cela pour pouvoir nous sauver, car autrement, il n'aurait pas pu prendre notre place dans le jugement divin, se charger de nos péchés et les expier, et nul n'aurait pu le faire mourir. Mais cela signifie aussi que la glorification lui a rendu l'usage de tout ce à quoi il avait renoncé, et qu'il utilise maintenant ses attributs divins et exerce sa souveraineté divine avec majesté et éclat. Et en dogmatique on précise: selon sa nature humaine, car c'est le Dieu-Homme qui a été élevé à la droite de son Père. Sa nature humaine participe donc à sa gloire. Il n'avait pas cessé d'être Dieu en venant sur terre. Heureusement pour nous! Il n'a pas non plus cessé d'être homme en allant au ciel. Et là aussi, heureusement pour nous! Celui qui est monté au ciel pour gouverner toutes choses est notre frère qui nous y prépare une place.

L'apôtre voulait faire de l'éthique et a fini par faire de la dogmatique. Il voulait exhorter à l'humilité et a fait un magistral cours de christologie. En réalité, il a fait les deux. Cela montre combien doctrine et éthique sont imbriquées l'une dans l'autre, combien la foi et la vie chrétiennes se tiennent. Nous en conclurons qu'il n'y a pas de bonne éthique sans bonne dogmatique, et qu'inversement toute bonne dogmatique débouche sur une bonne éthique. Pour dire les choses plus simplement: il n'y a pas de foi chrétienne sans les fruits de la foi!

 

Les serviteurs obéissants:

"Ainsi, mes bien-aimés, comme vous avez toujours obéi, travaillez à votre salut avec crainte et tremblement, non seulement comme en ma présence, mais bien plus encore maintenant que je suis absent, car c'est Dieu qui produit en vous le vouloir et le faire, selon son bon plaisir. Faites toutes choses sans murmures ni hésitations, afin que vous soyez irréprochables et purs, des enfants de Dieu irréprochables au milieu d'une génération perverse et corrompue, parmi laquelle vous brillez comme des flambeaux dans le monde, portant la parole de Dieu. Et je pourrai me glorifier, au jour de Christ, de n'avoir pas couru en vain ni travaillé en vain. Et même si je sers de libation pour le sacrifice et pour le service de votre foi, je m'en réjouis, et je me réjouis avec vous. Vous aussi, réjouissez-vous de même, et réjouissez-vous avec moi" (2:12-18).

Bien-aimés:

Le mot exprime toute l'affection que l'apôtre porte aux chrétiens de Philippes. Et sans doute aussi les sentiments paternels qu'il éprouve pour eux. Il évoque en effet leur obéissance, leur rend ce témoignage qu'ils ont toujours obéi. A qui? Au Christ, bien sûr, mais au Christ parlant par Paul, et donc aussi à l'apôtre, leur père spirituel.

Travaillez à votre salut avec crainte et tremblement:

Deux affirmations insolites: il faut travailler à son salut, et il faut le faire avec crainte et tremblement. Le salut qui est un don gratuit de Dieu, quelque chose qui ne se mérite en aucune façon, n'est obtenu qu'au prix d'un travail et d'un travail acharné! D'un combat, dit la Bible ailleurs. Tel que Dieu l'offre en Jésus-Christ au pécheur repentant et croyant, il est parfait et n'a pas besoin d'être complété par des oeuvres.

Par contre, il a besoin de ne pas être perdu, besoin d'être préservé. Et pour cela, il faut que le croyant veille à fortifier sa foi par le recours constant aux moyens de grâce que sont la Parole et les sacrements. C'est là qu'il trouve la volonté, le courage, les forces et l'endurance nécessaires pour persévérer jusqu'à la fin, surmonter toutes les tentations, se relever après chaque chute, renoncer au mal, rester fidèle et parvenir au but. La grâce est bon marché, et le salut gratuit? Certes, et il faut en remercier le Seigneur, mais seul celui qui n'a pas fait l'expérience de cette grâce en conclura que le chemin du ciel est facile.

L'apôtre n'hésite pas à parler de "crainte et tremblement". Il ne s'agit pas de la peur servile, de la crainte de l'esclave qui redoute les coups, car l'amour n'est pas dans la crainte, mais la bannit (1 Jean 4:18). Non, il est question de cette autre crainte dont la Bible parle si souvent et qui n'est autre chose que l'immense respect filial que le chrétien éprouve pour son Dieu, mélange de vénération, de gratitude et d'amour. Gracié, aimé, sauvé, le croyant veut tout faire pour ne pas attrister son Seigneur, ne pas lui déplaire, et en même temps ne pas mettre son salut en danger. Il ne doute pas de ce salut. Au contraire, il en est assuré, mais il sait qu'il ne le goûtera que s'il persévère jusqu'à la fin dans la repentance, la foi et la sainteté. Et cela dans un monde hostile et dangereux, et avec un coeur qui est lui-même tortueux et toujours enclin à l'incrédulité et au mal.

Dieu produit le vouloir et le faire:

Cette phrase rappelle, si besoin était, que le salut, malgré les efforts, le travail et le combat du chrétien, est un don gratuit de Dieu. C'est l'une des affirmations bibliques les plus claires du monergisme divin. "Sans moi, vous ne pouvez rien faire", disait Jésus (Jean 15:5), et Paul vient d'écrire que croire et... souffrir sont une grâce de Dieu (1:29). Lui seul donne à l'homme un coeur nouveau et le lui préserve. Il accorde la foi et la persévérance. Il est l'Alpha et l'Omega, le commencement et la fin de la foi. Sans lui, aucun pécheur ne parvient à la foi, et sans lui aucun croyant n'accède au salut. Aussi est-ce vers lui qu'il faut se tourner, si on veut grandir dans la foi et la piété, se relever quand on est tombé, trouver force et courage pour poursuivre la route et le combat. Dieu produit le vouloir et le faire, et il a pour cela des moyens qu'il met à notre disposition, les moyens de grâce ou de salut que sont l'Evangile et les sacrements. Alors, quand d'aucuns disent: " Je crois, mais je ne pratique pas", ce qui veut dire: "Je crois, mais je n'écoute pas l'Evangile et je me passe de communier au corps et au sang de Jésus", on peut être sûr qu'ils ne savent pas ce qu'est la foi.

Selon son bon plaisir:

C'est ce qui pousse le Seigneur à agir ainsi. Il ne doit ses grâces, sa bienveillance, sa sollicitude à personne. Son "bon plaisir", c'est-à-dire sa volonté souveraine qui n'est déterminée que par les sentiments qu'il éprouve pour les hommes, est sa seule raison d'agir. Cf. l'emploi du même terme dans Ephésiens 1:5.9. Il n'y a décidément aucune place dans la doctrine chrétienne pour le synergisme. Un bon conseil: Rappelez-vous ce qu'enseigne à ce sujet l'Eglise luthérienne en relisant l'Article II de la Formule de Concorde.

Paul vient d'exhorter à l'obéissance, laquelle va rarement sans murmures. En tout cas, quand on a affaire à des maîtres humains, lunatiques, grognons et parfois injustes. Ce n'est pas le cas pour les chrétiens de Philippes. Leur Maître est le Seigneur (Paul est tout au plus son contre-maître), et celui-ci est bon et miséricordieux. Alors les "murmures" et "hésitations" sont non seulement déplacés, mais une insulte à Dieu. Quant au souci de l'apôtre, il est toujours le même:

Irréprochables et purs..., brillez comme des flambeaux:

Cf. 1:10.11.20.27; 2:11. Il faut que le nom de Dieu soit glorifié, et pour cela l'Eglise qui invoque ce nom doit être irréprochable et pure, à la hauteur de la vocation admirable qui lui a été adressée, vivant d'une "manière digne de l'Evangile" (1:27). Jésus veut la présenter à Dieu sans tache, ni ride, ni rien de semblable (Ephésiens 5:27).

Brillez comme des flambeaux:

Les chrétiens vivent au milieu d'une "génération perverse et corrompue". Ils ne doivent pas se conformer au siècle présent (Romains 12:2), au monde qui se corrompt dans le mal et l'injustice. Ils sont appelés à être dans ce monde plongé dans les ténèbres de l'ignorance et du péché des flambeaux. Qu'ils ne mettent pas leur lumière sous le boisseau, mais sur le chandelier, pour qu'elle brille au loin et que les hommes voient leurs bonnes oeuvres et glorifient leur Père qui est dans les cieux (Matthieu 5:15.16). C'est leur vocation véritable. Appelés au salut, ils le sont aussi pour glorifier leur Dieu et leur Sauveur.

Portant la parole de vie:

En agissant ainsi, ils seront des témoins. Le flambeau qu'ils portent est la "parole de vie", qui procure la vie éternelle (Jean 6:63), la "parole vivante et permanente de Dieu" qui, telle une semence incorruptible, régénère et sauve les pécheurs (1 Pierre 1:23). L'Evangile est puissance de salut pour quiconque croit (Romains 1:16.17). Et il n'y a de vie qu'en lui, car le Christ, seul auteur de la vie, n'est annoncé que là. C'est par l'Evangile que Dieu "produit le vouloir et le faire selon son bon plaisir" (V.13).

Je pourrai me glorifier:

Paul se contredit-il? Ne sait-il pas ce qu'il veut? Cherche-t-il la gloire de Dieu ou la sienne? Bien sûr, il ne songe qu'à celle de Dieu. Mais il a des comptes à lui rendre. C'est Dieu qui lui a confié l'apostolat. C'est devant lui qu'il devra se justifier. S'il veut entrer dans la gloire de son Sauveur, il faut qu'il reçoive le témoignage qu'il a été un "bon et fidèle serviteur" (Luc 19:17). Pour cela, il lui faut prouver qu'il a travaillé et bien travaillé. Il veut que les Philippiens soient sauvés un jour. Mais il veut l'être, lui aussi. En plus, il a beaucoup couru, lutté, combattu, souffert et enduré. Et ce n'est pas fini. Alors il ne voudrait pas que ce soit pour rien. C'est le voeu de tout pasteur.

Libation:

La libation, à la différence du sacrifice animal qui consistait à égorger et immoler une bête, était l'effusion d'un liquide avec l'offrande de fleur de farine qui accompagnait les holocaustes. Il s'agissait de vin, fruit de la terre, qu'on répandait à côté de l'autel (Nombres 15:5-7). Paul sert de libation. Il s'offre lui-même, se consacre et se sacrifie à Dieu. Au sens figuré, avant de le faire au sens propre, car l'évocation de la libation est sans doute une allusion au martyre qui l'attend.

"Pour le sacrifice et le service (littéralement: la liturgie) de votre foi": la foi est ce que les croyants de Philippes apportent à Dieu en sacrifice. Et ce qui rend ce sacrifice possible, c'est la libation à laquelle l'apôtre a procédé, quand il était à Philippes, et à laquelle il procède encore. Cela le réjouit, et il sait qu'il n'est pas le seul à le faire: les Philippiens se réjouissent avec lui. Ils partagent sa joie comme il prend part à la leur. Leur joie est commune. Ses enfants spirituels sont heureux de croire, et Paul l'est aussi, quand il songe à eux. Inversement, il se réjouit à l'idée qu'il va peut-être bientôt par la mort rejoindre son Maître bien-aimé, et exprime le désir que les Philippiens s'en réjouissent également. Il doit en être ainsi dans l'Eglise chrétienne où on se réjouit avec ceux qui se réjouissent et pleure avec ceux qui pleurent (Romains 12:15).

 

Questions de révision et exercices:

Philippiens 1:27-2:11:

Philippiens 2:12-18:

 


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3-Janvier-2003, Rev. David Milette.