L'Écriture Sainte: Son Autorité et Son Inspiration, par Dr. Wilbert Kreiss - index  L'Écriture Sainte: Son Autorité et Son Inspiration, par Dr. Wilbert Kreiss - index


 

CHAPITRE 4: LA DOCTRINE DE L'INSPIRATION

 

1) Les textes qui enseignent l'inspiration de la Bible :

Les passages scripturaires auxquels nous avons fait appel jusqu'à présent se contentaient d'affirmer que Dieu a parlé par les prophètes et les apôtres, attribuant directement au Seigneur de nombreux textes bibliques. L'Écriture Sainte a donc vu le jour grâce à un acte divin que nous appelons l'inspiration, sur lequel les apôtres nous donnent quelques précisions dans un certain nombre de textes qu'on appelle les "sedes doctrinae" de l'inspiration.

"Les prophètes, qui ont prophétisé touchant la grâce qui vous était réservée, ont fait de ce salut l'objet de leurs investigations, voulant sonder l'époque et les circonstances marquées par l'Esprit de Christ qui était en eux, et qui attestait d'avance les souffrances de Christ et la gloire dont elles seraient suivies. Il leur fut révélé que ce n'était pas pour eux-mêmes, mais pour vous, qu'ils étaient les dispensateurs de ces choses, que vous ont annoncées maintenant ceux qui vous ont prêché l'Évangile par le Saint-Esprit envoyé du ciel, et dans lesquelles les anges désirent plonger leurs regards" (1 Pierre 1: 10-12).

L'apôtre, parlant des prophètes de l'ancienne alliance et précisant qu'ils ont prophétisé pour les croyants de la nouvelle alliance, dit clairement que l'Esprit du Christ était en eux, leur révélant ce qu'ils ont annoncé concernant les souffrances et la glorification du Messie. Le Saint-Esprit a donc parlé par eux. Cette activité du Saint-Esprit, dont le résultat sont les livres de l'Ancien Testament, est explicitement distinguée des recherches, études et méditations personnelles des prophètes. Sondant ce qu'ils avaient prêché et écrit, ils ont tenté de déterminer à quelle époque et dans quelles circonstances leurs prédictions allaient se réaliser. Ils se demandaient donc quand le Messie promis allait venir. Mais sans trouver de réponse à leur question, car si le Saint-Esprit leur avait révélé dans le détail l'oeuvre rédemptrice du Christ, il n'avait rien dit de l'époque choisie par Dieu à cet effet. Il fallut attendre que Jésus vienne, qu'il meure et ressuscite pour le salut du monde, pour que le Saint-Esprit fasse proclamer l'accomplissement des promesses faites aux pères. Le même Esprit, en effet, dit l'apôtre Pierre, qui a jadis parlé par les prophètes, parle maintenant par les apôtres. Aussi l'Église chrétienne est-elle fondée sur l'enseignement des apôtres et des prophètes, dont le Christ est la pierre angulaire (Ephésiens 2: 20).

S'il est vrai que de nombreuses prédictions étaient telles que même leurs auteurs, les prophètes, ne pouvaient comprendre leurs propres oracles plus que nous ne les comprenons nous-mêmes, le Saint-Esprit n'a pu parler par eux qu'en prenant entièrement possession de leur être, en particulier de leur intelligence. L'inspiration dont ils ont été les objets fut donc nécessairement totale et plénière. Cette inspiration était beaucoup plus que la simple assistance que l'Esprit Saint accorde par exemple à un pasteur qui prépare son sermon, plus qu'une simple suggestion des vérités qu'ils devaient proclamer. Dieu ne peut communiquer avec un homme que dans une langue humaine, et ne peut lui communiquer l'inconnu et ce qui est par nature inconnaissable, ce que l'oeil n'a pas vu, que l'oreille n'a pas entendu et qui n'est pas monté au coeur de l'homme, que par une inspiration plénière. C'est par elle qu'il lui révèle les vérités divines dans un langage qu'il comprend et dans lequel il peut les retransmettre oralement ou par écrit.

"Nous tenons pour d'autant plus certaine la parole prophétique, à laquelle vous faites bien de prêter attention, comme à une lampe qui brille dans un lieu obscur, jusqu'à ce que le jour vienne à paraître et que 1'étoile du matin se lève dans vos coeurs, sachant tout d'abord vous-mêmes qu'aucune prophétie de l'Ecriture ne peut être l'objet d'une interprétation particulière, car ce n'est pas par une volonté d'homme qu'aucune prophétie a jamais été apportée, mais c'est poussés par l'Esprit-Saint que des hommes ont parlé de la part de Dieu" (2 Pierre 1:19-21).

Dans ce texte, Pierre parle de la Parole prophétique. Il s'agit manifestement de l'Ancien Testament. C'est pourquoi, lorsqu'il est question de prophétie, il ne peut pas s'agir seulement des prédictions de l'Ancien Testament concernant l'avenir et plus particulièrement le Christ. Le mot "prophétie" en effet est un terme qui englobe tout l'enseignement donné par les prophètes. L'apôtre avait rappelé à ses lecteurs qu'il avait été le témoin oculaire de la gloire du Christ, lors de la transfiguration (2 Pierre 1:17.18), comme tous les apôtres ont été du reste, pendant trois ans, les témoins des faits et gestes du Seigneur. Mais il y a mieux que le fait d'avoir vu Jésus dans toute sa gloire sur la montagne de la transfiguration. Il existe une source de connaissance plus certaine que cela : c'est la parole prophétique. Et Pierre va nous dire pourquoi : c'est que cette parole est d'origine divine. Elle a pour auteur le Saint-Esprit lui-même. C'est ce qui lui permet de briller, tel un flambeau, dans ce lieu obscur qu'est le monde corrompu et condamné.

Mais que veut dire Pierre, lorsqu'il écrit qu'aucune prophétie n'est l'objet d'une interprétation particulière? Ou d'une interprétation privée (TOB)? Ou encore d'une explication personnelle (Bible de Jérusalem)? Ou bien qu'aucune prophétie n'est jamais venue de la seule volonté d'un homme (Bible en Français Courant)? Il ne peut pas vouloir affirmer que les prophéties ne s'interprètent pas elles-mêmes. Ce serait en effet contraire à l'un des principes d'interprétation biblique les plus importants, qui veut précisément que l'Écriture s'interprète elle-même, qu'elle nous fournisse elle-même le sens de ses affirmations. Il ne peut pas davantage vouloir dire que les prophètes n'interprètent pas leurs propres prophéties, et qu'elles sont pour cela difficiles à comprendre. Si telle avait été la pensée de l'apôtre, il ne pourrait pas dans la même phrase déclarer que la parole prophétique est semblable à une lampe qui brille dans un lieu obscur. Il se contredirait lui-même.

C'est pourquoi beaucoup de théologiens estiment que Pierre a voulu dire que ceux qui entendent ou lisent les textes de l'Ancien Testament ne peuvent pas leur donner une interprétation personnelle, conforme à leurs opinions, leurs conceptions ou leurs goûts. Mais s'il en était ainsi, on ne comprendrait pas le lien qui unit le verset 20 au suivant : "car ce n'est pas par une volonté d'homme qu'aucune prophétie a jamais été apportée, mais c'est poussés par le Saint-Esprit que des hommes ont parlé de la part de Dieu". Cela reviendrait à dire que nous n'aurions pas le droit ou le pouvoir d'interpréter l'Écriture, parce qu'elle est inspirée par le Saint-Esprit! L'argument n'est pas logique et ne convainc pas, et s'il en était ainsi, les pasteurs devraient renoncer à prêcher, car ils ne font rien d'autre dans leurs sermons qu'interpréter l'Écriture!

C'est pourquoi nous pensons qu'il faut donner au mot que nos traductions de la Bible rendent généralement par "interprétation" un autre sens, le sens premier du terme grec employé par Pierre. Ce terme exprime, dans le langage profane, l'action de défaire des noeuds, de solutionner un problème par un effort de compréhension ou de réflexion personnelle. Autrement dit, aucune prophétie n'est le produit, le résultat d'une représentation, d'une compréhension ou d'une idée personnelle des prophètes. En clair : Ils n'ont pas écrit le produit de leurs opinions ou conceptions personnelles, ils ne nous proposent pas leur petite théologie particulière, leur vision de Dieu, du monde, de l'homme et de son salut. Pourquoi? Parce que, comme le dit le verset suivant, "ce n'est pas par une volonté d'homme qu'aucune prophétie a jamais été apportée, mais c'est poussés par l'Esprit Saint que des hommes ont parlé de la part de Dieu". En un mot : ils étaient inspirés, c'est le Saint-Esprit lui-même qui a parlé par eux. Ainsi, le lien entre les différentes affirmations de Pierre est très clair, et on comprend pourquoi la parole prophétique est une lampe qui brille dans un lieu obscur. Seuls les faux prophètes prophétisent selon leur coeur ; l'Eternel ne parle pas par eux. Les prophètes, par contre, que le Seigneur a envoyés ont été ses fidèles porte-parole, car le Seigneur lui-même, en la personne de l'Esprit Saint, s'est exprimé à travers eux.

Ils étaient "poussés" par lui. Ce verbe, utilisé par la Bible de Segond, ne nous satisfait pas entièrement. Il pourrait signifier en effet que les prophètes étaient simplement incités par le Saint-Esprit à écrire, mais qu'ils ont finalement écrit ce qu'ils pensaient devoir écrire. Le Saint-Esprit serait simplement leur inspirateur, leur conseiller ou leur guide, mais pas l'auteur de ce qu'ils ont communiqué aux hommes. En réalité, ce verbe, traduit par "poussés", signifie "portés" (TOB), "emportés", "charriés", "entraînés". C'est le verbe utilisé pour décrire l'action d'un bateau dont le vent gonfle les voiles (Actes 27: 15,17). Les prophètes étaient à ce point sous l'action du Saint-Esprit qu'ils ont dit ou écrit ce qu'il voulait leur faire dire ou écrire. La Bible est Parole de Dieu ; le Seigneur lui-même y parle aux hommes. Voilà pourquoi elle est une lampe dans un lieu obscur vers laquelle nous devons nous tourner, jusqu'à ce que le jour vienne à paraître, le jour glorieux du Christ où l'Eglise sera enlevée au ciel et où les croyants verront ce qu'ils ont cru ici-bas.

"Dès ton enfance tu connais les saintes lettres qui peuvent te rendre sage à salut par la foi en Jésus-Christ. Toute l'Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire dans la justice, afin que l'homme de Dieu soit accompli et propre à toute bonne oeuvre" (2 Timothée 3 : 15-17).

Dans ce texte, Saint Paul parle des "saintes lettres" et de "l'Écriture". Il s'agit manifestement de la même chose : Paul songe aux écrits de l'Ancien Testament. Les théologiens se sont souvent querellés pour savoir s'il fallait traduire "toute Écriture" ou "toute l'Ecriture". Le mot en effet n'a pas d'article en grec. Mais il existe d'autres exemples dans la Bible où l'adjectif "tout" est construit avec un substantif sans article et où ce substantif désigne malgré tout l'ensemble tout entier. Ainsi "tout Jérusalem" (Matthieu 2:3), "toute la maison d'Israël" (Romains 11:26), "tout l'édifice" (Ephésiens 2:21). On s'est demandé par ailleurs s'il fallait traduire : "toute l'Écriture est inspirée de Dieu et utile à...", ou bien : "toute Écriture, inspirée de Dieu, est aussi utile à...". Grammaticalement, les deux traductions sont possibles. Et finalement, quel que soit le choix fait par le traducteur, le sens de l'affirmation de Paul est le même. Il a parlé des saintes lettres. Qu'il déclare que chacun de ces écrits, parce qu'il est inspiré de Dieu, est utile à..., ou que l'ensemble de ces écrits est inspiré de Dieu et utile à..., le résultat est le même! En tout état de cause, Paul affirme l'inspiration des saintes lettres que Timothée connaît depuis son enfance.

L'apôtre utilise ensuite un mot grec qu'on ne rencontre nulle part ailleurs dans toute la Bible. De plus, dans toute la littérature grecque profane, il n'est utilisé qu'une seule fois, du moins dans la littérature antérieure au Nouveau Testament. Il s'agit d'un ouvrage longtemps attribué par erreur à un certain Phocylidès. L'auteur y parle de la sagesse inspirée de Dieu. La très grande majorité des dictionnaires grecs donnent à cet adjectif un sens passif, comme à tous les adjectifs verbaux construits de la même façon. Tous s'accordent aussi pour dire que la traduction "inspirée" est ambiguë. Le mot "inspirée" laisse entendre, en effet, que l'Écriture existait avant de recevoir le souffle de Dieu, que les écrivains sacrés l'ont rédigée d'eux-mêmes, puis que Dieu l'a remplie de son Saint-Esprit. En réalité, le mot employé par l'apôtre Paul ne définit pas la nature de l'Ecriture Sainte, mais indique quelle est son origine. Pour bien faire, il faudrait traduire par "spirée", si ce mot existait : l'Écriture est "spirée de Dieu", émane et jaillit du Saint-Esprit ; elle en est le produit. Et ceci est vrai de toute l'Écriture ou, si on préfère, de tout écrit qui compte au nombre des "saintes lettres", des livres divins. Paul ne connaît pas plusieurs degrés d'inspiration, pas plus qu'il n'existe, selon lui, dans la Bible, des livres ou des textes qui sont inspirés et d'autres qui ne le sont pas. Il ne fait pas ce que font tant de théologiens libéraux, qui s'efforcent de montrer que l'inspiration de l'Ecriture Sainte s'applique uniquement à son message central qu'est l'Evangile du pardon et du salut par la foi en Christ, à l'exclusion, par exemple, de ses textes historiques. L'apôtre reçoit tout l'Ancien Testament comme un recueil d'ouvrages qui émanent du Saint-Esprit et qui l'ont pour auteur. Nous rejoignons ainsi les nombreux textes que nous avons cités ci-dessus, en particulier ceux où le Christ et les apôtres citent un passage de l'Ancien Testament en l'attribuant directement à Dieu.

"Or nous, nous n'avons pas reçu 1'esprit du monde, mais 1'Esprit qui vient de Dieu, afin que nous connaissions les choses que Dieu nous a données par sa grâce. Et nous en parlons, non avec des discours qu'enseigne la sagesse humaine, mais avec ceux qu'enseigne l'Esprit, employant un langage spirituel pour les choses spirituelles" (1 Corinthiens 2:12.13).

Nous avons déjà parlé de ce texte. Pour bien le comprendre, il faut l'étudier dans son contexte. Paul distingue entre les vérités qui lui furent révélées, ainsi qu'aux autres apôtres, et les paroles par lesquelles il exprime ces vérités dans son enseignement apostolique. Il dit à leur sujet : "Ce sont des choses que l'oeil n'a point vues, que l'oreille n'a point entendues et qui ne sont point montées au coeur de l'homme, des choses que Dieu a préparées d'avance pour ceux qui l'aiment. Dieu nous les a révélées par l'Esprit" (1 Corinthiens 2: 9.10). Ensuite, il précise comment il les communique à ses auditeurs lecteurs : "Nous en parlons non avec des discours qu'enseigne la sagesse humaine, mais avec ceux qu'enseigne l'Esprit" (1 Corinthiens 2:13). Les mots "nous en parlons" traduisent un verbe grec qui désigne l'expression verbale donnée à une vérité, sa verbalisation, sa communication aux autres à l'aide de mots et de phrases. Quant au mot traduit par "discours", un dictionnaire grec spécialisé affirme qu'il est employé, "non pas tant pour souligner ce qui est dit, mais pour insister sur le fait que cela est dit ou exprimé... C'est le mot en tant que composante et forme du discours, surtout lorsqu'il est utilisé au pluriel" 18. Cet emploi de ce mot est attesté dans le grec classique (Xénophon, Eschile, Platon, Démosthène), et dans le Nouveau Testament (Matthieu 15:23; 22: 46; Actes 2:40; Luc 23:9; 1 Corinthiens 14:19; 2:4; Ephésiens 5:16; 2 Pierre 2:3; 3 Jean 10; Actes 16:36; Matthieu 12:37, etc.). L'apôtre affirme donc avec netteté qu'il tient de Dieu et les vérités qu'il proclame et la façon dont il les proclame, jusque dans l'emploi des expressions.

Rappelons enfin cette déclaration capitale de l'épître aux Hébreux :

"Après avoir, autrefois, à plusieurs reprises et de plusieurs manières, parlé à nos pères par les prophètes, Dieu, dans ces derniers temps, nous a parlé par le Fils" (Hébreux 1:1.2).

Dieu a d'abord parlé par les prophètes, puis par son Fils, et là où sont le Père et le Fils, là est aussi le Saint-Esprit. Ce texte confirme de façon convaincante que Dieu parle par l'Écriture et s'adresse en particulier à tous ceux qui estiment que la grande diversité dont font preuve les livres de la Bible (diversité de langues, de styles, de procédés d'exposition, d'argumentations, etc.), milite contre l'inspiration plénière de l'Ecriture. Disons plutôt le contraire! N'est-il pas tout à fait étonnant que des auteurs aussi différents, vivant et agissant dans divers pays, séparés parfois dans le temps par de nombreux siècles, et d'origine si différente (militaires, rois, bergers, nobles, pêcheurs, médecin, artisans, péagers), n'est-il pas tout à fait étonnant que ces hommes aient pu écrire un livre qui présente une telle unité?

N'est-ce pas un miracle, qu'une collection apparemment si désordonnée d'ouvrages traitant de sujets si divers, constitue un édifice doctrinal unique et merveilleusement agencé, à l'exclusion de toute contradiction réelle, simple, clair et compréhensible pour tous? La Bible sort d'un moule unique, aux multiples facettes. C'est sans doute un phénomène unique dans l'histoire de la littérature mondiale. Comparez-la par exemple à une encyclopédie moderne, rédigée par différents auteurs, quoique sous la direction d'un éditeur unique! Comparez en particulier la Bible à une encyclopédie théologique, un recueil de traités et d'études théologiques, où les différents auteurs donnent souvent libre cours à leurs conceptions théologiques particulières! La différence est indéniable, sans compter que les auteurs d'une encyclopédie théologique moderne vivent tous à la même époque, sortent d'écoles et universités semblables, possèdent un bagage théologique analogue et un niveau intellectuel à peu près identique. L'unité admirable qu'on constate dans la Bible atteste qu'elle est inspirée par Dieu, qu'elle est sa Parole.

 

2) Ce qu'on peut dire de l'inspiration de la Bible :

L'inspiration est un profond mystère. L'Ecriture ne la définit donc pas. Elle se contente de l'affirmer ou, qui plus est, de déclarer de multiples fois et de bien des façons qu'elle est Parole de Dieu. Elle affirme le fait de l'inspiration, mais se tait sur ses modalités. Cela indique que l'inspiration de la Bible est un mystère au même titre, par exemple, que l'incarnation du Fils de Dieu, et qu'en tant que tel, elle échappe en dernière analyse à une investigation rationnelle et une définition scientifique.

Si nous ne pouvons définir l'inspiration de la Bible dans son essence même, car elle est aussi mystérieuse que l'existence d'un Dieu unique en trois personnes, l'incarnation du Fils de Dieu, son sacrifice expiatoire sur la croix ou la présence réelle de son corps et de son sang dans la Cène, il nous est possible cependant, en nous fondant sur les témoignages scripturaires que nous avons étudiés, de dire ce qu'elle n'est pas et de dégager aussi les conséquences de ce que la Bible dit à son sujet. C'est ce que nous tenterons de faire.

Ainsi, l'inspiration n'est pas identique au gouvernement de Dieu, à sa providence, c'est-à- dire son activité toute-puissante dans la conservation du monde (Actes 17:25.28; Romains 11:36; Ephésiens 1:11). C'est en vertu de cette providence divine que l'homme vit, qu'il se meut, qu'il pense, parle, écrit et agit. L'inspiration de l'Écriture n'est pas cela, car la providence est du domaine de la nature et concerne aussi les incroyants. C'est pourquoi, l'inspiration de la Bible n'est pas identique à l'inspiration générale des poètes, des musiciens ou des peintres.

L'inspiration de l'Écriture n'est pas davantage identique à l'activité du Saint-Esprit dans le coeur des croyants qu'on appelle régénération ou illumination, une activité divine qui s'exerce sur les pensées, les paroles et les actes des chrétiens (1 Corinthiens 2:12; Ephésiens 1:17; 1 Corinthiens 12:3; Romains 8:14; Actes 2:17; 1 Corinthiens 12:29). Si l'inspiration n'était que cela, les prophètes et les apôtres auraient été inspirés au même titre qu'un prédicateur de la Parole, ou comme tout chrétien. Il y aurait tout au plus, de part et d'autre, une différence quantitative. Les auteurs de la Bible n'auraient été que davantage ou mieux inspirés que nos pasteurs.

L'inspiration de la Bible n'est pas non plus une simple assistance que le Saint-Esprit aurait accordée aux écrivains sacrés, voire une certaine préservation de l'erreur. L'Ecriture Sainte n'est pas simplement dirigée par l'Esprit Saint, mais elle émane de lui. Si le Saint-Esprit n'avait fait que guider les prophètes et les apôtres, pour les préserver de toute erreur, la Bible ne se distinguerait en rien de n'importe quel bon écrit religieux. De nombreux ouvrages religieux, tels que prédications, cantiques, commentaires, manuels de dogmatique, ont été écrits sans erreurs, sans que pour autant leurs auteurs aient été inspirés au même titre que les prophètes et les apôtres. Aussi l'inspiration de la Bible est-elle plus qu'une simple assistance, plus qu'une préservation de l'erreur de la part du Saint-Esprit.

Nous distinguons aussi entre inspiration et révélation. Si la révélation est la communication d'une vérité divine, l'inspiration en est sa formulation verbale ou écrite. La révélation est l'acte par lequel Dieu dévoile à des hommes des choses ou des faits qu'ils ne connaissent pas et qu'ils ne peuvent pas connaître d'eux-mêmes, qu'il s'agisse de vérités surnaturelles concernant la doctrine chrétienne, ou de faits naturels, telles que la déportation d'Israël à Babylone ou la destruction de Jérusalem. Dieu a révélé bien des choses à de nombreux croyants, sans que ceux-ci aient été inspirés pour nous léguer ces révélations. Ce fut le cas d'Adam, d'Abraham, de Jacob, de Joseph fiancé à Marie, de Zacharie, ou encore des prophètes qui exerçaient leur ministère dans l'Église apostolique. Il peut donc y avoir révélation sans qu'il y ait inspiration. Inversement, il peut y avoir inspiration, sans qu'il y ait révélation. Les évangélistes, par exemple, ont été les témoins directs de ce qu'ils ont écrit par la suite. Ils ont entendu de leurs propres oreilles ce qu'ils racontent dans leur évangile. Paul donne des conseils relatifs au célibat qui ne lui furent pas donnés par révélation, mais qui procédaient d'une conviction personnelle ; pourtant, nous affirmons que le Saint-Esprit a voulu qu'ils soient consignés dans la Bible, par conséquent que Paul les a écrits sous l'effet de l'inspiration. Enfin, révélation et inspiration peuvent être dissociées dans le temps, quand un prophète par exemple prononce un oracle qu'il ne consigne par écrit que plus tard. Ou bien, au contraire, elles peuvent coïncider dans le temps. Ce fut le cas de Balaam, qui proclama immédiatement ce que Dieu lui révélait, puis repartit dans son pays. D'ailleurs, l'exemple de ce devin païen, cupide et que rien ne prédisposait à annoncer la Parole de Dieu, est une preuve convaincante de l'étendue de l'inspiration. Chargé par le roi de Moab de maudire le peuple d'Israël, il lui répondit : "Je dirai les paroles que Dieu mettra dans ma bouche" (Nombres 22: 38). Un peu plus loin, nous lisons : "L'Eternel mit des paroles dans la bouche de Balaam" (Nombres 23:5). "N'ai-je pas dit aux messagers que tu m'as envoyés : Quand Balaak me donnerait sa maison pleine d'argent et d'or, je ne pourrai faire de moi-même ni bien ni mal contre l'ordre de l'Eternel ; je répéterai ce que dira l'Eternel" (Nombres 24:13).

Selon le témoignage de 2 Timothée 3:16, ce ne sont pas les écrivains sacrés, mais leurs livres qui sont inspirés. C'est pourquoi nous devons rejeter toute doctrine de l'inspiration qui ferait dans l'Écriture une coupure horizontale, soutenant que les vérités qui y sont exprimées sont d'origine divine, mais que leurs auteurs inspirés ont choisi eux-mêmes la façon de les énoncer. S'il en était ainsi, l'Écriture ne serait d'origine divine que grâce à son contenu. D'autre part l'apôtre Paul, loin de dire que certaines choses seulement sont inspirées dans l'Écriture, déclare que l'Écriture tout entière, ou, ce qui revient au même, que tout écrit parmi les livres canoniques est inspiré. Aussi rejetons-nous également toute coupure verticale dans la Bible attribuant par exemple au Saint-Esprit les affirmations et révélations doctrinales, et aux apôtres et prophètes les généalogies, les narrations historiques et autres. C'est ainsi que, sous l'inspiration du Saint-Esprit, les auteurs de la Bible ont manifestement utilisé des documents historiques (cf. par exemple Luc 1:1-4), des tables généalogiques, des annales familiales (sans doute pour la vie des patriarches) et des chroniques nationales.

Nous rejetons aussi toute coupure consistant à dire que les textes sont, en fonction de leur contenu, plus ou moins inspirés par le Saint-Esprit. Cette méthode en effet ne rend pas justice à ce que la Bible dit d'elle-même. Il n'existe, selon le témoignage de la Bible, ni différents degrés d'interprétation, ni à côté de textes inspirés, d'autres qui ne le seraient pas. C'est un jugement exclusivement humain qui fait dire à certains théologiens qu'il y a dans la Bible des choses importantes et d'autres qui ne le sont pas. Certes, il existe des vérités capitales (en particulier celles qui concernent directement le salut, ce qu'on appelle les articles fondamentaux de la foi chrétienne), et d'autres qui sont manifestement moins importantes, mais tout ce qu'affirme la Bible vient de Dieu, est divinement inspiré et donc Parole de Dieu.

Pas non plus de coupure horizontale ! L'Ecriture Sainte n'est pas mi-divine et mi-humaine, un mélange de vérités divines révélées par inspiration et d'opinions humaines tributaires de leur temps. Tout dans la Bible est Parole de Dieu, le formel et le matériel, c'est-à-dire aussi bien les idées et les vérités exprimées que les expressions et les termes utilisés pour cela. Un théologien luthérien s'exprime ainsi: "Le Saint-Esprit ne peut pas tout d'abord donner le contenu et ensuite guider dans le choix des bons mots. Comment pourrait-on communiquer une idée autrement que par des mots? Que le Saint-Esprit enseigne les mots signifie pour beaucoup de théologiens modernes qu'il enseigne les choses révélées dans la Bible. Mais comment peut-on enseigner à quelqu'un des choses autrement que par des mots? Si donc on remplace le don des mots par une simple assistance dans le choix des bons mots, il s'ensuit que le Saint-Esprit n'a pas non plus communiqué le contenu de la Bible, mais seulement aidé à le découvrir" 19.

En un mot, si l'inspiration de la Bible est inspiration des choses, communication divine de son contenu, elle est aussi et nécessairement inspiration des mots, communication des termes qui expriment ce contenu).

Importantes ou non, toutes les affirmations bibliques font partie d'un livre qui dit de lui-même qu'il est tout entier inspiré par Dieu et qui se présente explicitement comme Parole du Seigneur. D'autre part, tout se tient dans la Bible. Des textes historiques apparemment sans importance sont en fait les témoins de la façon dont Dieu a gouverné le monde et plus spécialement son peuple pour accomplir ses promesses. Une législation rituelle, dont la lecture nous paraît souvent fastidieuse, est tout entière orientée vers celui dont elle doit préfigurer de façon visuelle l'oeuvre rédemptrice, Jésus-Christ. Tout cela est profondément imbriqué dans le message même de l'Écriture. L'extraordinaire connaisseur de l'Ancien Testament qu'était l'apôtre Paul, déclare que "tout ce qui a été écrit d'avance l'a été pour notre instruction, afin que, par la patience et par la consolation que donnent les Écritures, nous possédions l'espérance" (Romains 15:4). C'est a priori faire fausse route que de jongler avec une échelle des valeurs pour déterminer dans l'Écriture ce qui est inspiré et ce qui ne l'est pas.

<~tbl_open>L'inspiration de la Bible est un mystère<~tbl_end>

Pour exprimer le mystère de l'inspiration, les théologiens ont de tout temps fait appel à la notion d'instrument. Cela signifie que dans ce mystère, la relation du Saint-Esprit et des auteurs sacrés était un lien organique: il s'est servi d'eux comme d'instruments chargés de transmettre sa Parole. Se servir d'un instrument, c'est le faire agir pour produire par lui, à travers ses effets propres, ce qu'on veut effectivement produire. Dans l'effet ainsi produit, on reconnaîtra certes la marque de l'instrument, mais plus profondément encore celle de celui qui le manie. Un silex taillé trouvé aux abords d'une grotte préhistorique porte les marques de l'outil qui a servi à lui donner sa forme. Mais il porte davantage encore les marques de l'homme qui l'a façonné, témoigne de sa technique, de son art et de ses intentions. Il dit comment et pourquoi cet homme l'a fait tel qu'il est. Autre exemple, situé à un degré plus élevé: c'est le violoniste qui produit la musique, bien que ce soit avec son violon. La sonorité est due aux cordes dont joue le musicien, mais c'est lui qui leur fait exprimer ce qu'il conçoit et sent. Si bien que la musique, en elle-même faite de sons et donc tout simplement de vibrations, est pleine de son âme. Dans l'inspiration scripturaire, ce que veut réaliser la motion ou l'inspiration divine, ce n'est pas seulement le déploiement des forces propres d'un écrivain, c'est la communication de ce qu'il pense et veut, lui, à ceux qui liront l'écrit, à ceux auxquels il l'adresse. Dans cette parole humaine, c'est la Parole de Dieu qui, s'il est permis de s'exprimer ainsi, s'incarne. Expression humaine, mais pensée divine.

L'acte d'écrire procède des forces et des émotions de l'écrivain sacré, mais Dieu s'est emparé de lui et donc de tout ce qu'il a de spécifique pour en faire l'instrument par lequel il s'exprime lui-même humainement. C'est lui qui écrit en langage humain ce qu'il a révélé, qu'il révèle ou qu'il rappelle simplement à l'homme qu'il a choisi pour cela. C'est Dieu qui parle dans cette langue humaine, à travers ces mots, ces phrases, ces structures de langage, en utilisant tout le pouvoir signifiant qui leur est propre. Il utilise cette langue, ces mots, ces images, cette syntaxe et les fait siens, un peu comme le Christ a assumé la nature humaine et l'a faite sienne, parce qu'ils disent ce qu'il a voulu qu'ils disent et comme il a voulu qu'ils le fassent. Ils disent la Parole de Dieu avec les mots humains avec lesquels le Seigneur a voulu qu'elle soit dite.

Le caractère et la nature humaine des écrivains sacrés ont évidemment, d'une façon ou d'une autre, conditionné leurs écrits. Tout écrit humain porte la marque de son auteur (sensibilité, goûts, style, connaissances, genre littéraire de l'ouvrage, circonstances, etc.). Il en va de même des livres de la Bible. Il suffit de les comparer entre eux pour s'en rendre compte. La personnalité de leurs auteurs a teinté leur message. Cela dit, Dieu a formé cette personnalité des auteurs sacrés en vue de l'oeuvre particulière à laquelle il les destinait, de la révélation de sa vérité et de son plan de salut pour les hommes.

On a objecté que Dieu ne pouvait pas transmettre sa révélation par des hommes sans que ceux-ci la déforment. L'argument est le suivant : La lumière qui éclaire la rosace d'une cathédrale est lumière du ciel, mais elle est transformée, teintée par les verres colorés dont est faite cette rosace. De même toute pensée de Dieu qui passe par l'esprit et l'âme d'un homme est modifiée par sa personnalité et cesse d'être, dans cette même mesure, la pure Parole de Dieu. Mais que vaut cet argument, si la personnalité de l'écrivain sacré a été précisément modelée par Dieu de manière à donner aux paroles qui lui sont confiées les couleurs mêmes que Dieu a voulues? L'architecte ne choisit-il pas justement les couleurs du vitrail de manière à ce que la lumière qui passe au travers ait exactement les couleurs qui sont les siennes? Dieu n'a-t-il pas formé les prophètes et les apôtres de telle manière que la Parole qu'il a destinée à son peuple ait exactement les particularités qu'elle a en fait? Le Dieu qui parle dans l'Ecriture Sainte est tout autant Dieu de la providence et de la grâce que Dieu de la révélation et de l'inspiration. Il ne s'est pas contenté d'inspirer prophètes et apôtres, mais les a aussi sélectionnés et préparés en vue de leur tâche. L'inspiration de l'Ecriture est un long processus incluant un certain nombre d'éléments qui relèvent à la fois de la providence, de la grâce et du miracle. Tout cela reste extrêmement mystérieux et échappe à toute description adéquate, mais il faut en tenir compte quand on tente d'expliquer le lien existant entre Dieu et l'Ecriture.

Qu'on essaie d'imaginer tout ce qui se situe à l'origine d'un livre historique comme les Chroniques ou les Actes des apôtres. Dieu fait tout d'abord l'histoire elle-même. Il est la cause première des différents éléments qui la constituent et en a organisé la séquence. Celle-ci a un aspect téléologique ou étiologique. Ensuite, il prépare l'homme destiné à raconter cette histoire. Cette préparation a lieu par la naissance, l'éducation, les expériences, les dons de la grâce. Il convient que cet homme ait un désir sincère de connaître cette histoire, de l'étudier, de faire les recherches nécessaires, de comprendre l'action et le dessein de Dieu, et qu'il ait les aptitudes requises pour l'écrire de façon claire et convaincante. Quand enfin Dieu le met au travail, qu'il lui demande d'écrire cette histoire et qu'il l'inspire pour cela, lui révélant au besoin certaines choses, ce récit ne sera-t-il pas exactement ce que Dieu a voulu qu'il soit? De même, il sait préparer par la naissance, l'éducation, les dons naturels et surnaturels, les expériences vécues, la sensibilité et la maîtrise de la langue le poète qu'il a choisi pour donner à son peuple des psaumes qui soient sa Parole. On pourrait en dire autant de l'apôtre à qui il demande d'écrire des épîtres à l'Eglise et qu'il équipe en conséquence, lui accordant notamment l'intelligence, le savoir, la perspicacité, l'esprit logique, le don de la polémique et le pouvoir de conviction dont il a besoin pour être son porte-parole. La providence divine qui confère à l'homme choisi par le Seigneur les capacités et dons naturels, la grâce qui lui apporte les dons surnaturels, la révélation et l'acte particulier qu'est l'inspiration font que ce qu'il dit et écrit possède des qualités parfaites voulues par Dieu et constitue sa Parole. Ce n'est pas simplement la parole d'un homme pieux illuminé et guidé par Dieu, mais la Parole même de Dieu.

<~tbl_open>Dieu a inspiré les prophètes et les apôtres de façon à leur faire dire ce qu'ils devaient dire et de la manière dont ils devaient le faire, de sorte que l'Ecriture Sainte est Parole de Dieu dans tout ce qu'elle affirme.<~tbl_end>

Les écrivains sacrés ne savent et ne déclarent pas seulement que "tout ce qui a été écrit l'a été pour notre instruction, afin que par la patience et par la consolation que donnent les Ecritures nous possédions l'espérance" (Romains 15:4), mais con-fessent que par la providence de Dieu "ces choses sont arrivées pour nous servir d'exemple" (1 Corinthiens 10:6). La con-version de Paul et l'appel qui lui fut adressé ont été soudains et imprévus, apparemment sans antécédents. Mais l'apôtre n'en confesse pas moins : "Il plut à celui qui m'avait mis à part dès le sein de ma mère et qui m'a appelé par sa grâce, de révéler en moi son Fils, pour que je l'annonce parmi les païens" (Galates 1:15). Dans 2 Corinthiens 1:4-6, il dit sa conviction que s'il a été affligé et éprouvé par Dieu, c'était pour pouvoir d'autant mieux "consoler ceux qui se trouvent dans l'affliction".

L'apôtre Paul sait que Dieu le conduit dans la vie de façon à ce qu'il soit capable d'exercer un ministère fécond : "Dieu nous console dans toutes nos afflictions, afin que par la consolation dont nous sommes l'objet de la part de Dieu, nous puissions consoler ceux qui se trouvent dans quelque affliction. Car de même que les souffrances de Christ abondent en nous, de même notre consolation abonde par Christ. Si nous sommes affligés, c'est pour votre consolation et votre salut. Si nous sommes consolés, c'est pour votre consolation" (2 Corinthiens 1:4-6). L'inspiration plénière de l'Ecriture que nous professons n'est ni une dictée mécanique, ni quelque chose de fortuit, un produit du hasard, mais un acte que le Seigneur a préparé longtemps à l'avance et dans lequel il prend entièrement à son compte l'homme qu'il a choisi et formé pour cela.

Il a assumé par exemple l'impétuosité émotionnelle et oratoire d'un Paul, la simplicité et la tendresse d'un Jean, le génie pratique d'un Jacques, pour leur faire écrire dans leur style et dans leur langue habituels sa Parole. Beaucoup d'attaques contre une telle doctrine de l'inspiration proviennent d'une méconnaissance de ces faits et d'une mauvaise présentation de ce profond mystère qu'elle demeurera toujours.

Quand les auteurs du Nouveau Testament se disent les porte-parole de Dieu, il est donc clair qu'ils ne conçoivent l'inspiration proprement dite que comme l'acte final d'un processus qui englobe un tas de choses qui sont du domaine de la providence, de la grâce et du miracle. C'est par elles que le contenu de l'Ecriture a été préparé pour être rédigé, que les apôtres ont été formés pour l'écrire et que la rédaction proprement dite est devenue réalité.

L'auteur humain a beau n'être qu'un instrument de ce que Dieu fait par lui, ce qu'il est en lui-même et par nature et par grâce joue un rôle très important dans l'effet produit. Il ne suffit certainement pas qu'un écrivain soit plein de talent, de lumière et de grâce pour qu'on puisse le dire inspiré. Il peut même en être dénué et n'offrir au Saint-Esprit qui s'empare de lui que sa pauvreté humaine et sa carence en charismes naturels ou autres. Mais même alors, ce qu'il écrit est Parole de Dieu, parce que Dieu l'a choisi pour la dire aux hommes. Si par contre il a le talent, et peut-être même le génie d'écrire, s'il est poète, orateur, narrateur, s'il est érudit et sage, l'inspiration divine exalte ces dons et fait passer par eux le plus sublime de ce que Dieu veut nous dire. A cet égard, il peut ne pas y avoir égalité entre les auteurs de la Bible, mais mais certains nous paraissent supérieurs à d'autres. Cependant tout y est pareillement Parole de Dieu.

Très souvent l'écrivain qu'inspire Dieu écrit ce qui a été révélé à d'autres. Il fait alors fonction de simple narrateur. Luc, par exemple, ne semble pas avoir reçu lui-même révélation de ce qu'il raconte dans son évangile et dans les Actes, puisqu'il nous dit dans son prologue qu'il s'est informé soigneusement auprès de ceux qui ont vu et entendu. Mais puisqu'il est inspiré, c'est sous la motion du Saint-Esprit qu'il veut savoir, qu'il enquête, qu'il choisit et trie, qu'il rassemble et met en bon ordre, qu'il rédige finalement tout ce qu'il peut savoir d'événements divins et de paroles divines. Et c'est l'inspiration qui le fait juger de la vérité de ce qu'il a à rapporter.

Tenant compte de l'existence dans le canon de l'Ecriture de différents genres littéraires, on peut parler d'inspiration prophétique, lyrique, sapientiale, etc. Le prophète Esaïe à qui Dieu dévoile des mystères qui s'accompliront dans un avenir lointain, le narrateur inconnu des livres des Rois ou des Chroniques qui relate l'histoire du peuple d'Israël, ou celui connu qui rapporte, non sans faire quelques recherches personnelles, les faits et gestes du Christ dont il a été le témoin ou qui lui ont été communiqués par des témoins, le législateur Moïse qui promulgue une loi et d'innombrables préceptes rituels, le poète qui, comme David, fait parler son coeur et loue le Seigneur, ont tous été inspirés par Dieu et ont tous dit sa Parole, quoique la contribution personnelle n'ait pas été la même pour chacun d'eux (connaissance, sensibilité, émotions, etc.) et que le Seigneur ne les ait pas inspirés de la même façon. Ils n'ont bénéficié de visions que s'il leur était demandé de parler de choses futures, de révélations que s'ils étaient chargés de retransmettre des choses qu'ils ne savaient pas eux-mêmes ou d'expliquer des mystères qui échappaient à leur propre entendement (1 Corinthiens 2:9-12).

Autre observation : Tout n'a pas la même importance dans l'Ecriture Sainte. Tout n'y traite pas du Christ, comme l'avait relevé Luther. L'auteur sacré relate des événements grands et petits et raconte bien des choses qui sont des détails secondaires par rapport au contenu même de la révélation et à l'événement fondamental que sont l'incarnation et l'oeuvre rédemptrice du Christ. Mais toutes ces choses font partie de la réalité concrète dans laquelle Dieu est intervenu. Cela ne veut pas dire que le récit biblique cesse d'être inspiré quand il aborde ce qui peut paraître secondaire et bénin, mais que cela se situe à la périphérie du message fondamental de l'Ecriture. L'inspiration divine est une sorte de torrent qui entraîne avec lui bien des choses accessoires qu'il trouve sur son chemin, car il a plu à Dieu qu'il en soit ainsi.

L'inspiration de l'Écriture a souvent été comparée à l'incarnation du Christ. De même que Jésus est à la fois vrai Dieu et vrai homme, qu'il possède une nature divine et une nature humaine réelles et entières, de même, dit-on, l'Ecriture est à la fois Parole de Dieu et parole d'hommes, entièrement divine et entièrement humaine. La comparaison est intéressante et utile pour tenter de comprendre l'union du divin et de l'humain dans la Bible, mais elle devient dangereuse dès qu'on tente de la presser. Dans l'Écriture, en effet, le divin et l'humain ne sont pas tout à fait unis de la même façon qu'en Christ. Qu'on nous pardonne la formule barbare, mais l'«inscripturation» de l'Esprit Saint n'est pas parallèle à l'incarnation du Fils de Dieu! Si en vertu de l'incarnation Jésus est à la fois Dieu et homme, dans l'inspiration de l'Écriture le divin et l'humain coopèrent pour produire un livre qui n'est pas divin et humain au même titre, mais le LIVRE DE DIEU écrit dans des langues humaines. En d'autres termes, Dieu et les écrivains sacrés ne sont pas des partenaires, mais ces derniers sont entièrement soumis au Seigneur.

Reste la question : Quel a été le rapport exact entre Dieu et les hommes qu'il a choisis pour écrire la Bible? Nous sommes là en plein mystère. Il convient d'emblée de rejeter toute définition de l'inspiration qui réduirait celle-ci à une sorte de dictée et ferait des prophètes et des apôtres de simples secrétaires, semblables aux dactylos qui écrivent sous la dictée de leurs patrons, ou à des bandes magnétiques enregistrant simplement la voix de Dieu, bref des robots. Une telle conception n'expliquerait pas la si grande diversité de styles dans la Bible, les différentes personnalités de ceux qui l'ont écrite et qui s'expriment si bien à travers leurs ouvrages.

Nous dirons volontiers que la Bible est verbalement inspirée, à condition que cette expression ne soit pas assimilée à une dictée. Certains théologiens conservateurs ont traditionnellement utilisé, dans leur présentation de la doctrine de l'inspiration, des verbes comme "suggérer" ou "dicter", ou encore comparé les auteurs de la Bible à des instruments de musique qui émettent un son sous l'action du souffle divin qu'est l'Esprit Saint, mais un son dont le timbre varie d'un auteur à l'autre. Il faut savoir que ces termes et ces images ne sont que des approximations qui ont les mérites et les faiblesses de toutes les illustrations. Ils traduisent des mécanismes proprement humains qui ne peuvent, en dernière analyse, rendre compte de ce qui s'est effectivement passé, lorsque Dieu a parlé par un prophète ou un apôtre, pour la bonne raison que cet acte dépasse notre intelligence et échappe obstinément à toute définition précise et rationnellement satisfaisante. D'où sans doute la sobriété avec laquelle la Bible s'exprime à ce sujet.

L'inspiration est l'activité mystérieuse du Saint-Esprit en vertu de laquelle toute parole de l'Écriture est réellement et authentiquement Parole de Dieu. Dans sa condescendance, le Seigneur a assumé l'auteur sacré avec son caractère, son tempérament, son niveau intellectuel, sa phraséologie, son vocabulaire, ses particularités affectives et émotives, de telle façon que cet homme a écrit sa Parole. Le contrôle du prophète ou de l'apôtre par le Saint-Esprit fut complet, au point qu'il empêcha les facteurs humains de cet homme de conditionner de quelque façon que ce soit la pureté et l'intégrité de ce qu'il a écrit. L'Écriture est Parole de Dieu entièrement et partout, donnée par des hommes d'une façon qui n'a pas fait violence à leur nature humaine, mais permis à celle-ci de s'exprimer librement, de telle sorte, toutefois, que chacune de leurs affirmations est réellement Parole de Dieu, dite telle que Dieu voulait qu'elle le fût. Les écrivains sacrés n'ont pas travaillé de leur propre initiative, secondés et soutenus simplement par Dieu, mais sur l'initiative du Seigneur et portés par la puissance du Saint-Esprit. Le mot "inspiration", et nous insistons sur le "in", n'est pas biblique ni tout à fait satisfaisant pour décrire ce que Dieu a fait. La Bible en effet n'est pas un produit humain, dans lequel le Seigneur aurait par la suite insufflé son Esprit, l'élevant ainsi au rang de Parole de Dieu, mais la révélation divine transmise par les hommes. Si donc nous utilisons le mot "inspiration", nous le faisons à la condition expresse qu'on n'impose pas à ce terme le sens qu'il peut avoir d'ordinaire quand les hommes parlent d'inspiration, mais qu'on lui donne le contenu et le sens qui se dégagent de l'Écriture elle-même (2 Pierre 1:21; 2 Timothée 3:16).

 

3) Inspiration et Parole inspirée :

La théologie luthérienne confessionnelle n'a jamais fait de la doctrine de l'inspiration l'article principal de la foi chrétienne. Elle n'en fait même pas un article fondamental dont l'ignorance entraînerait la perdition éternelle de l'homme. Elle distingue entre inspiration et Parole inspirée. Cela signifie qu'un homme peut être touché par le message de la Bible ou de l'un de ses livres, se repentir et se fonder avec une foi sincère sur les promesses qu'il y a découvertes, sans jamais avoir entendu parler de son inspiration. Ce n'est pas la foi en l'inspiration de la Bible qui sauve, mais la foi en son contenu inspiré.

Comment peut-on prouver que l'Ecriture est inspirée de Dieu? Il faut distinguer entre la preuve objective et la preuve subjective. La preuve objective est le témoignage que la Bible se rend à elle-même. Cette preuve n'est pas contraignante. On peut même, à voir les choses de plus près, accuser la théologie chrétienne de se mouvoir dans une pétition de principe, de vouloir prouver par la Bible que la Bible dit vrai. La preuve objective ne peut engendrer qu'une conviction ou foi humaine qui n'est pas à confondre avec la foi justifiante et salvifique.

Seule la preuve subjective, le témoignage intérieur du Saint-Esprit dont nous aurons encore à parler, peut faire naître dans le coeur la conviction ou foi divine, convaincre intimement que la Bible est Parole de Dieu et faire naître dans les coeurs la confiance en ses promesses. Cf. ci-dessous, le chapitre 4.

 

4) Résumé :

Nous résumerons ainsi ce que la Bible dit d'elle-même et de son inspiration :

En disant cela, nous ne prétendons en rien expliquer le mystère de l'inspiration. Elle reste un mystère qui transcende l'intelligence humaine et toute tentative de formulation rationnellement satisfaisante, mais en atteste simplement les résultats. L'Ecriture n'est pas tantôt parole humaine et tantôt Parole de Dieu, selon le sujet traité, mais elle est toujours et partout à la fois parole d'hommes et Parole de Dieu, parole entièrement humaine et totalement divine. Il arrive que dans ce monde des livres soient signés par deux ou plusieurs auteurs. C'est qu'ils se sont réparti le travail: l'un a fait les recherches nécessaires et l'autre a rédigé l'ouvrage, ou bien chacun en a écrit une partie. Mais ce n'est pas ainsi que les choses se sont passées pour la Bible, car elle est à la fois, sur chacune de ses pages, Parole de Dieu et l'oeuvre d'hommes. Cela montre qu'il est psychologiquement impossible d'expliquer ou même simplement de décrire le mystère de l'inspiration de l'Ecriture. Celui-ci échappe, en tant qu'oeuvre divine, à toute définition.

Le recours fréquent, de la part de nombreux théologiens dans l'histoire de l'Eglise, à des images telles que la flûte ou la lyre, légitime si on tient compte de ce qu'une image a toujours d'approximatif, ne doit se faire qu'avec la plus grande prudence. Il assimile en effet l'inspiration à un acte accompli alors que l'écrivain sacré était dans un état d'extase. Or extase et inspiration sont deux choses différentes. S'il est vrai que tel prophète était dans un état extatique au moment où Dieu se révélait à lui, ce n'était pas toujours le cas. L'auteur des Chroniques, les auteurs des évangiles et celui des Actes n'ont sans doute pas connu ce genre de situation. Dieu a aussi inspiré ceux qui ont procédé à des recherches et investigations personnelles avant de se mettre à écrire. Les images de la flûte et de la lyre ne rendent justice que d'un mode particulier d'inspiration, à l'exclusion des autres.

Une définition de l'inspiration qui prétend expliquer ce mystère psychologiquement a pour conséquence ou bien l'absorption du côté divin de l'Ecriture par son côté humain, ou bien au contraire l'absorption de son côté humain par son côté divin. Elle fait de l'inspiration ou bien une simple assistance par le Saint-Esprit ou bien une dictée mécanique. Dans le premier cas, elle constitue une conception arienne de l'Ecriture qui sous-estime son côté divin et ne lui permet pas d'être réellement Parole de Dieu. Dans le second, elle verse dans le docétisme qui écrase la dimension humaine de l'Ecriture sous le poids de sa dimension divine, qui réduit prophètes et apôtres au rôle d'agents passifs dont la volonté, la personnalité et les limites ont été ignorées ou court-circuitées par le Saint-Esprit. L'Eglise chrétienne doit se méfier de ces deux écueils.

 

5) L'enseignement de Luther et des Confessions luthériennes :

a) Luther :

Martin Luther n'a pas écrit de Dogmatique. Il n'a donc pas procédé à un exposé systématique et détaillé de la doctrine de l'autorité et de l'inspiration de l'Ecriture Sainte. Cependant, il en parle bien des fois, et d'une façon qui montre à l'évidence qu'elle représente pour lui l'autorité suprême à laquelle doit se plier tout l'enseignement de l'Eglise chrétienne. Parole inspirée de Dieu, elle est pour lui l'unique source et norme de la doctrine et de la foi.

"Une seule parcelle de doctrine vaut plus que le ciel et la terre. C'est pourquoi, nous ne tolérons en rien qu'elle soit lésée" (W 2 IX, 650).

"Si les Sacramentaires croyaient qu'ils ont affaire à la Parole de Dieu, ils ne joueraient pas avec elle, mais la tiendraient en honneur, lui feraient foi sans discuter ni douter, et sauraient qu'une parole de Dieu est tout et que toutes les paroles de Dieu sont un" (XIV, 491).

"Le Saint-Esprit est l'écrivain et l'orateur le plus simple qui soit dans le ciel et sur la terre; aussi ses paroles ne peuvent-elles avoir plus d'un sens, et ce sens est-il simple. C'est ce que nous appelons le sens de la langue scripturaire ou littéraire" (XVIII, 1307).

"Si Moïse écrit que Dieu a créé le ciel et la terre et ce qui s'y trouve en six jours, tiens-toi à cela et crois qu'il s'agit de six jours, et ne cherche pas d'explication pour montrer comment six jours peuvent faire un jour. Et si tu ne peux pas comprendre comment cela a pu se faire en six jours, fais cet honneur au Saint-Esprit d'être plus instruit que toi" (III, 21).

"La Parole de Dieu est Parole de Dieu. Il n'y a là rien à contester. Quiconque accuse Dieu de mentir en un seul point ou estime qu'il importe peu qu'il soit blasphémé ou accusé de mensonge, blasphème le Dieu tout entier... Il y a un Dieu unique qu'on ne peut pas partager ou louer sur un point et réprimander sur un autre" (XX, 775).

Il faut "considérer un trait de lettre ou une lettre comme plus grande que le monde entier, trembler devant elle et la redouter comme Dieu lui-même" (XX, 1040).

A propos de Galates 1: 9 : "Voilà un texte très clair et une cognée céleste : Paul se réunit lui-même, un ange du ciel, les docteurs sur terre et tous les maîtres possibles et imaginables en un tas et les soumet tous à l'Écriture Sainte. Cette reine doit régner, tous doivent lui obéir et se soumettre à elle. Ils ne sont pas ses maîtres, juges ou arbitres, mais rien que des témoins, des élèves et des confesseurs, et quand il s'agirait du pape, de Luther, d'Augustin, de Paul ou d'un ange du ciel. Aucune autre doctrine ne doit être présentée et entendue dans l'Église que la pure Parole de Dieu, c'est-à-dire l'Écriture Sainte. S'il n'en est pas ainsi, que les docteurs et ceux qui les écoutent soient maudits avec leurs doctrine" (IX, 87).

"L'Ecriture n'a pas poussé sur terre" (VII, 2095).

"L'Ecriture a été dite par le Saint-Esprit" (III, 1895). Elle est " le livre du Saint-Esprit" (IX, 1775), la "lettre de Dieu" adressée aux hommes (I, 1055).

"Un prophète est un homme qui a reçu son intelligence de Dieu, sans intermédiaire, à qui le Saint-Esprit place la Parole dans la bouche" (III, 785).

"Nous devons nous attacher au texte tout nu et simple que Dieu lui-même a prononcé" (XX, 1093).

"L'Ecriture ne s'est encore jamais trompée" (XV, 1481).

"L'Ecriture ne peut se tromper" (XIX, 1309).

"Il est impossible que l'Ecriture se contredise, excepté que les hypocrites insensés et endurcis se l'imaginent" (IX, 356).

"Non seulement les mots, mais aussi les phrases dont se servent le Saint-Esprit et l'Ecriture sont divins" (XIV, 1960).

Pour Luther, le Saint-Esprit est même à l'origine de certaines incorrections de langage dans la Bible:

"Il ne faut pas en vouloir au Saint-Esprit qui parle par Paul, lorsqu'il faute contre la grammaire. Il est emporté par son zèle" (IX, 130). "Le Saint-Esprit n'est pas l'esclave des rigueurs de la grammaire" (IX, 190).

Nous pourrions encore citer de nombreux textes tirés du commentaire de Luther sur la Genèse, dans lesquels il attribue au Saint-Esprit lui-même la narration des détails tour à tour futiles et savoureux de la vie conjugale et familiale ou bien sociale des patriarches (II, 537. 618.1565; III, 461; II 157 ; IX, 1998 ; II, 1212 s.; I, 292).

Il faut donc ou bien ne pas connaître Luther, ou bien être de mauvaise foi pour lui attribuer une conception libérale de l'Ecriture et de son inspiration. Rares sont, assurément, les théologiens qui ont fait preuve d'autant de respect et de soumission à la Bible et à tout son enseignement que lui. Il est vrai qu'avec son franc-parler habituel il lui est arrivé de s'exprimer d'une façon qui pourrait laisser penser le contraire. Il est un texte, en particulier, auquel la théologie libérale aime faire appel, pour attirer le Réformateur dans son camp. C'est celui dans lequel il s'exprime sur l'épître de Jacques, texte combien galvaudé! Le voici :

"Si on veut prêcher l'Evangile, il s'agit de n'annoncer rien de plus que la résurrection du Christ. Quiconque ne prêche pas cela, n'est pas un apôtre, car c'est là le centre de la foi, et les livres vraiment les plus nobles sont ceux qui traitent de cette vérité et l'enseignent, comme nous venons de le dire. C'est pourquoi on peut facilement se rendre compte que l'épître de Jacques n'est pas une vraie épître apostolique, car elle ne dit presque rien de cela" (IX, 969).

Ajoutons encore la citation suivante :

"L'Evangile de saint Jean et sa première épître, les épîtres de saint Paul, en particulier celles aux Romains, aux Galates et aux Ephésiens, et la première épître de Pierre sont les livres qui traitent du Christ et t'enseignent tout ce que tu dois savoir pour être sauvé, et quand tu ne verrais aucun autre livre et n'entendrais aucune autre doctrine. C'est pourquoi, l'épître de Jacques est une vraie épître de paille, comparée à celles-là, car elle n'a pas de contenu évangélique" (XIV, 81).

Quand Luther s'exprime ainsi, il songe à la distinction faite par l'Eglise ancienne entre les "homologoumènes" et les"antilégomènes" que nous trouvons entre autres chez Eusèbe de Césarée ( 430). Les "homologoumènes" sont les livres du Nouveau Testament au sujet de l'apostolicité desquels il n'y a jamais eu de doutes dans l'Eglise ancienne, les "antilégomènes", par contre, ceux sur l'origine apostolique desquels il y eut au IVº siècle de l'ère chrétienne, dans une partie de la chrétienté, une contestation passagère. Il s'agit de Jacques, de 2 Pierre, de Jude et de la deuxième et troisième épîtres de Jean. Estimant qu'il y avait contradiction sur la justification entre Paul et Jacques, Luther a, du moins jusqu'en 1524, partagé ces doutes et n'a pas pu se convaincre que l'épître de Jacques était canonique, et donc inspirée.

C'était un point de vue personnel du Réformateur, et l'Eglise luthérienne ne l'a pas suivi en cela. S'appuyer sur ces textes de Luther pour lui attribuer une conception libérale de l'inspiration, est une entreprise tendancieuse et finalement malhonnête. C'est confondre, sciemment ou non, deux problèmes entièrement différents, la canonicité et l'inspiration des livres de la Bible. Pour Luther, un ouvrage canonique, c'est-à-dire dont il est certain qu'il provient d'un apôtre (ou d'un évangéliste), est toujours inspiré, et entièrement inspiré, dans toute l'extension que le Réformateur donne à ce terme. Si, par contre, il n'est pas canonique, il n'est pas non plus inspiré. Il faut donc cesser d'en appeler au Réformateur pour affirmer qu'il existait dans sa pensée plusieurs degrés d'inspiration chez ceux qui ont écrit la Bible!

b) Les Confessions luthériennes :

La position de Luther sur l'autorité divine intangible de l'Ecriture Sainte fut sanctionnée par les Confessions luthériennes. Certes, elles n'exposent pas la doctrine de l'inspiration de la Bible, car elles n'avaient pas besoin de le faire. C'était là, à l'époque, un article de foi incontesté. Il n'y avait pas de controverse à ce sujet. Par contre, la façon dont les Confessions parlent de la Bible, l'autorité qu'elles lui attribuent montre clairement qu'elle était pour elles la Parole inspirée de Dieu, qui ne souffre aucune critique, dont le témoignage doit être accepté sans la moindre réticence :

Symbole de Nicée :

Dans cette confession de foi de l'Eglise ancienne (325/381), l'Eglise luthérienne confesse que le Saint-Esprit "a parlé par les prophètes".

Confession d'Augsbourg :

" Pour obéir en toute soumission à votre Majesté Impériale, nous remettons la confession de nos pasteurs et prédicateurs qui est celle de leur enseignement et de leur foi, telle qu'ils la prêchent, l'enseignent et l'observent, conformément à la Sainte Ecriture divine, dans nos pays, principautés, seigneuries, villes et territoires" ( Introduction, 8).

"Si donc les évêques ont le pouvoir d'opprimer les Eglises et de tyranniser les consciences par d' innombrables ordonnances, pourquoi alors 1'Ecriture divine interdit-elle si souvent d'instituer et de suivre ces ordonnances humaines? Pourquoi les appelle-t-elle des doctrines de démons? Serait-ce donc en vain que le Saint-Esprit nous a adressé tant d'avertissements?" (Article 28,49).

"Ainsi nous avons clairement montré comment les adversaires ont condamné certains articles, à l'encontre de l'enseignement officiel et manifeste de l'Ecriture et des claires paroles du Saint-Esprit" (Préface, 9) .

"Pensent-ils que l'Ecriture n'a pas de raisons pour répéter la même chose si souvent, et en paroles si claires? Estiment-ils que le Saint-Esprit ne réfléchit pas quand il compose sa Parole?" (Article 4, 107).

Formule de Concorde :

"Nous croyons, enseignons et confessons que les livres prophétiques et apostoliques de l'Ancien et du Nouveau Testament constituent la seule règle ou norme selon laquelle toutes les doctrines et tous les docteurs doivent être appréciés et jugés... Quant aux autres écrits, soit des Pères, soit des docteurs modernes, quel que soit leur nom, ils ne doivent jamais être mis au même rang que les Saintes Ecritures. Ils doivent tous être subordonnés à celles-ci et n'être cités qu'à titre de témoins attestant dans quelle mesure et en quel lieu la doctrine des Prophètes et des Apôtres a été conservée dans son intégrité après le siècle apostolique... Ainsi nous maintenons rigoureusement la différence qui sépare les écrits sacrés de l'Ancien et du Nouveau Testament d'avec les autres écrits. La Sainte Ecriture reste la seule règle et la seule norme ; elle seule a l'autorité de juger. Elle est comme la pierre de touche à laquelle il faut éprouver toutes les doctrines, pour reconnaître si elles sont bonnes ou mauvaises, vraies ou fausses" (Sommaire, 1,2,7).

"Nous reconnaissons sans réserve l'autorité des livres prophétiques et apostoliques de l'Ancien et du Nouveau Testament, sources pures et limpides d'Israël, et nous croyons que les Saintes Ecritures sont la règle unique et sûre d'après laquelle il faut examiner tous les dogmes, juger de toutes les doctrines et apprécier tous les docteurs" (S.D., Sommaire, Fondement, Règle et Norme de la doctrine, 3).

Dès la fin du XVIº et durant le XVIIº siècles, de nombreux théologiens luthériens ont dû défendre la foi en l'autorité absolue de l'Écriture Sainte fondée sur son inspiration. Cette doctrine commençait en effet à être contestée ici et là. On appelle ces théologiens les Dogmaticiens de l'orthodoxie luthérienne. Ils ont procédé, conformément à ce qu'on attend de théologiens de ce genre, à un exposé systématique et détaillé de la doctrine de l'inspiration. Voici les noms des plus connus d'entre eux : Jacob Heerbrand (1521-1600), Martin Chemnitz (1522-1586), Aegidius Hunnius (1550-1603), Léonard Hutter (1563-1616), Jean Gerhard (1582-1637), Nicolas Hunnius (1585-1643), le Strasbourgeois Jean Dannhauer (1603-1666), Abraham Calov (1612-1686), Jean Quenstedt (1617-1688), Jean W. Baier (1647-1695), David Hollaz (1648-1713).

La théologie libérale a beaucoup de reproches à faire à ces Dogmaticiens. Ils avaient leurs faiblesses, c'est un fait, et n'élevaient aucune prétention à la perfection. On peut leur reprocher de n'avoir pas suffisamment insisté sur le témoignage intérieur du Saint-Esprit qui seul peut convaincre le chrétien de l'origine divine de l'Ecriture Sainte, ou encore de n'avoir pas suffisamment mis en valeur la condescendance par laquelle Dieu, dans l'acte d'inspiration, a utilisé les auteurs bibliques avec tout ce qu'ils avaient de personnel et d'humain, y compris leurs faiblesses. On peut sans doute aussi leur reprocher d'avoir voulu aller trop loin dans l'explication et la définition de l'inspiration, ne soulignant pas assez qu'il s'agit d'un mystère qui n'est pas rationnellement explicable. Par contre, nous refusons de croire qu'ils avaient une conception de l'autorité et de l'inspiration de la Bible plus étroite que Luther et tous les fidèles docteurs de la chrétienté qui l'ont précédé. Ils ont repris, pour décrire l'inspiration, des termes et des illustrations que bien des Pères de l'Eglise avaient déjà utilisés avant eux ("suggérer", "dicter", "secrétaires", "cithare", "lyre", etc.). Peut-être auraient-ils dû être plus prudents dans le recours à ces termes et images, sachant que l'inspiration de la Bible est un mystère qui échappe à toute définition. Il est préférable d'éviter toute terminologie assimilant les prophètes et les apôtres à de simples secrétaires à qui on dicte un texte, voire à des robots.

L'Église Luthérienne, dans la mesure où elle s'est conformée fidèlement à l'enseignement de l'Ecriture, ce qui, malheureusement n'a pas toujours été le cas et l'est actuellement de moins en moins, a toujours enseigné et confessé que la Bible était entièrement Parole de Dieu écrite par des hommes, en vertu d'une inspiration qui fait du Seigneur lui-même le véritable auteur de chacun de ses livres et de chacune de ses affirmations. Tout théologien luthérien qui ne partage pas cette conviction doit savoir qu'il a abandonné la voie de la Réformation luthérienne et tourné le dos au témoignage de l'Écriture Sainte.

 

6) Le rejet de la doctrine de l'inspiration :

Rares sont à l'heure actuelle les Églises luthériennes et protestantes en général qui confessent encore l'inspiration totale et plénière de l'Ecriture Sainte. Le protestantisme offre un triste spectacle au monde. On y trouve de tout ! La palette théologique va du radicalisme le plus terrifiant et le plus grossier jusqu'au libéralisme le plus raffiné et le plus dangereux. On y vante le pluralisme qu'on érige en principe, c'est-à-dire la liberté octroyée à chaque théologien de professer ses convictions propres. Le tout est chapeauté par un oecuménisme prônant une unité dont le dénominateur commun se réduit souvent à sa plus simple expression, telle que l'affirmation que Jésus-Christ est Seigneur! N'ayant plus de solide nourriture biblique à offrir aux hommes, d'innombrables Églises cherchent un dernier refuge dans une bonne morale teintée de christianisme, ou bien dans l'action sociale et politique, allant jusqu'au soutien financier accordé aux mouvements révolutionnaires dans le tiers-monde! Et tout cela, parce que le protestantisme n'est plus fermement édifié sur le fondement des apôtres et des prophètes dont le Christ est la pierre angulaire.

L'Ecriture Sainte n'est plus reconnue comme Parole souveraine et infaillible de Dieu, mais considérée comme un recueil d'ouvrages religieux dans lesquels différents auteurs ou "écoles" donnent libre cours à l'expression de leurs convictions théologiques plus ou moins centrées sur Jésus-Christ. Il semble bien qu'une malédiction pèse sur la chrétienté chaque fois qu'elle abandonne l'unique source et norme de doctrine que Dieu ait donnée aux hommes. Engagés sur cette voie, certains théologiens, par une inconséquence heureuse, réalisent qu'ils doivent rester attachés au moins à l'enseignement fondamental de la Bible et retenir les faits essentiels de l'histoire du salut. D'autres, n'ayant plus aucune inhibition, rejettent l'une après l'autre les affirmations doctrinales de l'Ecriture, allant au besoin jusqu'à professer une théologie de la mort de Dieu. Quand on a rejeté l'autorité divine de l'Ecriture dans tout ce qu'elle révèle, on n'a plus pour critère de sa petite théologie personnelle que sa conscience, son goût ou ses sentiments. On est prisonnier de son propre subjectivisme, ou bien d'une certaine tradition ecclésiastique qu'on tente de préserver avec plus ou moins de chance ou de conviction.

Nous allons proposer à nos lecteurs quelques échantillons de la façon dont la théologie moderne envisage l'inspiration ou la non-inspiration de l'Ecriture Sainte. Les rationalistes du XVIIIº et du XIXº siècles affirmaient le règne de la raison et niaient tout bonnement la réalité d'une intervention de Dieu dans l'histoire de ce monde. Pour eux, il était clair que Dieu ne se révèle pas aux hommes, en tout cas pas par l'intermédiaire d'un livre. Ils voyaient donc dans la Bible l'expression uniquement humaine des convictions religieuses de certains hommes.

De nombreux théologiens du XIXº siècle réagirent contre le rationalisme, affirmant la possibilité et la réalité d'une révélation divine. Cependant la très grande majorité d'entre eux rejetèrent la doctrine de l'inspiration que nous avons exposée. C. Luthardt par exemple, affirmait que cette doctrine n'était pas puisée dans la Bible, mais qu'elle constituait une simple construction de l'esprit 22. Theodor Kaftan en fait un théologoumène, c'est-à-dire une simple théorie de théologiens 23, précisant qu'elle est maintenant définitivement surmontée. Horst Stephan estime que, malgré tous les efforts faits pour l'expliquer de façon évangélique, "nous ferions mieux de renoncer entièrement au concept d'inspiration" 24. Karl Kahnis écrit : "L'impossibilité de soutenir la doctrine de l'inspiration de l'ancienne orthodoxie sautera aux yeux de quiconque se donne la peine de s'en faire une image précise et détaillée" 25.

De très nombreux théologiens, suivant en cela l'un de leurs chefs de file, R. Bultmann, soutiennent que l'Ecriture contient d'innombrables récits mythologiques ou légendaires, mais essaient de sauvegarder la Bible en déclarant que, bien que ces récits soient librement composés par leurs auteurs et ne correspondent pas à la réalité historique, ils expriment cependant des vérités religieuses qui doivent alimenter notre foi. Même le luthérien P. Althaus écrit, par exemple : "Le récit de Noël est, certes, de la poésie, mais pas un conte, composé par la fantaisie de la nostalgie de la rédemption. Avec ses traits miraculeux, il exprime de façon imagée ce qu'il y a d'insondable dans la naissance de Jésus... Les paroles de Jésus sur la croix, y compris dans la mesure où elles ne sont pas historiques, expriment de façon valide le pourquoi et la signification de sa mort. C'est dans ce sens qu'elles sont essentiellement vraies... C'est dans ce sens qu'est aussi essentiellement authentique la scène du larron, bien qu'elle soit en fait une peinture légendaire ultérieure... Il nous faut encore dire un mot particulier à propos de l'évangile de Jean. Il ne faut pas le lire en se demandant s'il est historiquement fidèle. Jésus n'a pas parlé de lui-même dans les termes de cet évangile. Les paroles qu'il prononce à son sujet dans l'évangile de Jean, bien que dans leur ensemble elles ne soient pas historiques, sont cependant vraies dans le sens essentiel du mot : elles expriment une connaissance de l'être et de la signification salvifique de Jésus qui est inhérente à la foi pascale en son nom, cette foi qu'il suscite lui-même" 26.

La théologie dialectique, appelée encore néo-orthodoxe, dont Karl Barth fut le champion, a découvert une façon nouvelle, combien dangereuse, parce que raffinée et apparemment si évangélique, d'affirmer l'autorité de l'Écriture. Pour K. Barth, la Bible n'est pas la Parole de Dieu, mais le devient par une intervention divine, quand son message est annoncé : "La Bible est la Parole de Dieu, dans la mesure où il parle par elle" 27. "Que Dieu daigne s'ouvrir lui-même totalement à nous, voilà ce qu'entend affirmer l'inspiration divine de la parole prophétique et apostolique" 28. Ceci n'empêche pas la Bible de contenir de nombreuses erreurs. Son infaillibilité ne s'étend pas à ses affirmations qui sont souvent erronées, mais à son message central : "Les prophètes et les apôtres même comme tels, dans leur parole orale et écrite, étaient capables d'erreurs ; ils étaient en fait des hommes faillibles comme nous tous" 29. "Si Dieu n'a pas eu honte de parler par l'Écriture avec ses mots humains faillibles, ses bévues historiques et scientifiques, ses contradictions théologiques, l'incertitude de sa transmission et, par-dessus tout, son caractère juif, mais au contraire, s'il l'a acceptée dans toute sa faillibilité pour qu'elle le serve, nous ne devrions pas avoir honte d'elle, lorsqu'avec toute sa faillibilité elle désire à nouveau nous rendre témoignage. Ce serait désobéir et chercher sa propre volonté que de désirer découvrir dans la Bible des éléments infaillibles" 30. Les prophètes et les apôtres "étaient des hommes faillibles et sujets à l'erreur tout comme nous, des enfants de leur temps, comme nous sommes des enfants du nôtre ; leur horizon intellectuel était aussi limité que le nôtre. On peut, si on y tient, refaire toujours à nouveau la constatation que leurs conceptions scientifiques, l'image qu'ils se faisaient du monde, et dans une large mesure leur morale elle-même ne peuvent pas être normatives pour nous. Ils ont rapporté des traditions et des légendes et ont utilisé très librement toutes sortes de thèmes mythiques. Ils se sont contredits sur plus d'un point, et même sur des affirmations importantes. A quelques exceptions près, ils ne furent pas des théologiens remarquables" 31. Quelle modestie de la part K. Barth! On croit voir un professeur de théologie distribuant quelques mauvaises notes aux prophètes et aux apôtres, concédant quand même que parmi ses élèves il a quelques bons éléments! Pour le théologien de Bâle, récemment décédé, l'autorité de la Bible est celle de son contenu, Jésus-Christ : "Ainsi, c'est en vertu de ce contenu que l'Écriture s'impose. Un texte qui a ce contenu-là, celui-là seul en vérité, par opposition à tous les autres textes, est l'Écriture Salinte... C'est le contenu de la Bible qui fait de ce livre le canon de l'Église" 32.

Emil Brunner écrit de même : "L'Écriture, nous la considérons comme une norme absolue, pour autant qu'elle nous met en possession de la révélation, Jésus-Christ lui-même" 33. En d'autres termes, quand la Bible ne nous parle pas de Jésus, comme par exemple dans les livres historiques de l'Ancien Testament, elle cesse d'être norme. Le même théologien écrit encore : "Alors que nous sommes absolument liés au moyen, à l'instrument de la révélation que représente le témoignage apostolique, nous ne sommes que relativement liés à l'autorité de ce témoignage. L'autorité absolue, c'est Jésus-Christ en personne qui ne vient à nous que par l'enseignement historique et doctrinal des apôtres. Lui qui ne nous est accessible que par eux, il est au-dessus d'eux. Leur témoignage est valable, absolument décisif, pour autant qu'il l'atteste vraiment lui-même" 34. Frank Gueutal écrit de son côté : " En réalité, Dieu s'est fait connaître, il s'est révélé à l'homme, non pas au moyen d'un livre, mais par Jésus-Christ et dans la personne de Jésus-Christ, le Fils de Dieu fait homme... L'Ecriture n'est rien d'autre et rien de plus qu'un témoignage rendu au Fils de Dieu... Et c'est là essentiellement ce qui fonde son autorité. Elle cesserait d'avoir cette autorité, si on pouvait prouver qu'elle trahit la vérité incarnée en la personne du Christ. Et c'est pourquoi je ne craindrai pas d'aller jusqu'à dire que l'Écriture n'est pas une autorité en soi, mais qu'elle tient son autorité du Fils de Dieu auquel elle rend témoignage" 35.

Il y a quelque chose d'insidieux et de fondamentalement incorrect dans toutes ces affirmations qui prétendent lier l'autorité de la Bible à une personne, Jésus-Christ, et non à son contenu doctrinal. Le Dieu et le Christ en qui je suis appelé à croire ne sont présentés dans l'Écriture que dans des affirmations qui sont spécifiquement doctrinales. Lorsque la Bible affirme que le Christ est Fils de Dieu devenu homme, elle fait de la doctrine. Lorsqu'elle déclare que le pécheur est justifié par la foi en lui, elle en fait encore. Il n'existe pour nous aucun accès au Christ et à son salut autre que par les formulations doctrinales de l'Écriture. Aussi est-ce un sophisme de soutenir que l'autorité de l'Écriture est celle du Christ. Bien sûr, Jésus est au centre de la Bible et le garant de son message. Mais l'autorité de l'Ecriture n'est celle du Christ que parce que c'est l'autorité de ses affirmations doctrinales concernant le Christ.

Qu'est le Christ de l'Ecriture et qu'est son autorité, si je le dégage des affirmations par lesquelles elle me le présente? Que vaut le Christ de la Bible, si ce que cette Bible me dit de lui n'est pas normatif et contraignant? Le Saint-Esprit, bien sûr, me convainc que ce que la Bible me dit du Christ est vrai. Mais il le fait précisément par les affirmations de la Bible, des affirmations qui s'imposent au coeur croyant comme étant d'origine divine, comme l'est tout ce qu'enseigne la Bible. Définir l'autorité de la Bible comme étant celle du Christ et non celle du livre qui nous le révèle, comme le fait la théologie moderne, constitue une attitude foncièrement fausse et une entreprise vouée à l'échec. L'Écriture ne se laisse pas morceler, disait Luther, et il avait bien raison. On ne peut pas lui croire sur un point, fût-ce le Christ, et refuser son enseignement sur un autre. "Toute l'Ecriture est inspirée de Dieu", déclare saint Paul (2 Timothée 3:16), qu'elle parle ou non du Christ, qu'elle le fasse directement ou au travers du voile de la prophétie, qu'elle m'affirme d'une façon générale que Jésus accueille les pécheurs, ou qu'elle atteste cela de façon concrète par l'épisode du larron sur la croix. L'Ecriture est inspirée et dit vrai, dans le plein sens du sens, lorsqu'elle déclare que Jésus est vrai Dieu et lorsqu'elle affirme cela dans le récit de sa naissance virginale. L'Ecriture ne peut pas être Parole de Dieu, dans le sens qu'on a de tout temps donné à ce terme, si elle n'est pas entièrement, totalement inspirée. Affirmer le contraire, c'est jouer avec les mots et égarer les âmes!


 

Notes:

18 Cremer/Kögel, Biblisch-theologisches Wörterbuch der neutestamentlichen Gräzität, p.672.

19 Adolph Hoenecke, Dogmatik, I, p. 345.

22 Kompendium, p. 332.

23 Moderne Théologie des alten Glaubens, p. 109.116.

24 Glaubenslehre, p. 52.

25 Dogmatik, 1, 666.

26 Die christliche Wahrheit, p. 127.

27 Kirchliche Dogmatik Ill, 112.

28 op. cit., 1/2, 573.

29 1/2, 563 s.

30 1/2, 590.

31 L'Église, 1964, p. 212.213.

32 La Doctrine de la Parole de Dieu, p.95.

33 Dogmatique, 1,70.

34 op. cit., p. 68.

35 Les Confessions de Foi, in Positions Luthériennes, Juillet 1961, p. 164 s.

 


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18-février-2001, Rev. David Milette.