L'ISLAM, par Dr. Wilbert Kreiss - index  L'ISLAM, par Dr. Wilbert Kreiss - index


 

2) Divers courants de l'islam

Les musulmans ont dans le monde entier un sens profond de leur identité religieuse et opposent aux autres religions du monde un front uni. Ils sont cependant divisés en plusieurs factions ou courants qui n'hésitent pas à se combattre mutuellement. En ce sens, ils ne diffèrent guère des chrétiens Pendant les premiers siècles de l'islam (VII au X siècles), la loi et la théologie musulmanes se développèrent et acquirent de plus en plus d'importance. La théologie cependant vient après la loi et est loin de jouer dans l'islam le rôle qu'elle détient dans le christianisme.

La spéculation théologique commença très tôt après la mort de Mahomet. Le premier conflit important fut provoqué après l'assassinat du troisième calife3 Othman. Il concernait le problème de la succession. Qui était le successeur légitime du Prophète ? La question était de déterminer aussi ce qui fait d'un musulman un musulman. De savoir aussi si un musulman était encore un musulman après avoir commis de graves péchés. Contredisant les califes successeurs du Prophète, un groupe fanatique, les kharijites, soutint que le fait de commettre des péchés graves, sans véritable repentir, excluait de la communauté musulmane un musulman même pratiquant et respectueux de tous les rites. Ils en vinrent à considérer toutes les autorités politiques musulmanes comme impies et, après de nombreuses rébellions, furent finalement vaincus. Une faction plus modérée des kharijites, appelée les ibadites, survécut cependant et existe aujourd'hui encore en Afrique du Nord, en Syrie et dans le sultanat d'Oman.

 

a) Le mutazilisme

Le mutazilisme fut la première grande école théologique de l'islam. Ses adeptes soutinrent qu'un individu qui avait commis de graves péchés sans s'en repentir n'était ni un authentique musulman ni un infidèle, mais se situait entre les deux. Ils insistaient cependant sur l'unicité absolue et la justice de Dieu, déclarant que Dieu était une essence unique et pure. Sa justice exige que l'homme soit absolument libre, car s'il n'est pas libre de choisir entre le bien et le mal, la récompense et la punition n'ont pas de sens. Parce qu'il est parfaitement juste, Dieu ne peut pas refuser de récompenser le bien ni renoncer à punir le mal.

Au X siècle, la doctrine des mutazilites fut combattue par les acharites, disciples du philosophe al-Achari qui niaient la liberté de la volonté humaine, concept jugé incompatible avec la puissance et la volonté absolue de Dieu. Ils rejetaient également l'idée que la raison naturelle de l'homme puisse mener à une connaissance du bien et du mal. Les vérités morales sont établies par Dieu et ne peuvent être communiquées aux hommes que par révélation. Les opinions d'al-Achari et de son école devinrent progressivement dominantes dans l'islam et le sont encore chez la plupart des musulmans.

 

b) Le soufisme

Le soufisme est un mouvement mystique qui apparut au VIII siècle lorsque des musulmans réagirent contre le mondanisme et l'attachement croissant aux biens terrestres et mirent l'accent sur la vie intérieure, la méditation et la pureté morale. Au cours du IX siècle, le soufisme se transforma en un mouvement mystique recherchant la communion directe ou même l'union extatique avec Dieu. Cette aspiration à l'union mystique avec Dieu fut perçue comme incompatible avec la foi en un Dieu unique. En 922, al-Hallaj, un adepte du soufisme, fut exécuté à Bagdad pour avoir affirmé qu'il arrivait à s'identifier à Dieu. Au XI siècle cependant, un soufi influent, al-Ghazali, parvint à faire accepter le soufisme par l'islam orthodoxe.

Au XII siècle, le soufisme cessa d'être l'affaire d'une élite intellectuelle et devint un mouvement populaire complexe. L'insistance des soufis sur la connaissance intuitive et l'amour de Dieu accrût l'influence de l'islam sur les masses et favorisa son extension du Proche-Orient vers l'Afrique et l'est de l'Asie. Des fraternités soufis furent fondées ici et là et connurent un grand succès, grâce notamment au charisme et à la générosité de leurs fondateurs et dirigeants qui non seulement subvenaient aux besoins spirituels de leurs adeptes, mais aidaient également les pauvres et servaient fréquemment d'intermédiaires et de médiateurs entre le peuple et le gouvernement.

 

c) Le sunnisme

Le sunnisme constitue le courant majoritaire de l'islam. La plupart des musulmans du monde sont des sunnites, ainsi appelés du fait de l'importance qu'ils accordent à la Sunna, c'est-à-dire à la tradition orale qui retransmet l'ensemble des paroles et des actions du prophète Mahomet et que tous les croyants doivent s'efforcer d'imiter. Le Coran et la Sunna sont considérés comme les deux sources principales de la loi islamique. Les chiites dont il sera question ci-dessous soulignent eux aussi l'importance de la Sunna, mais y incluent les paroles et les actions de leurs imams4.

Selon la loi sunnite, il faut s'en tenir rigoureusement à l'enseignement de Mahomet et suivre son exemple en cas de doute sur une question religieuse ou juridique. Les injonctions du Coran appelant à «obéir à Allah et à son Prophète» sont régulièrement citées pour justifier cette idée. Selon le sunnisme, les compagnons du Prophète, lorsque celui-ci était encore en vie, s'appliquèrent à se rappeler ses paroles et ses gestes et les transmirent fidèlement après sa mort à la génération suivante, qui les passa à son tour à la suivante, et ainsi de suite. On appelle hadiths les nombreuses anecdotes au sujet des paroles et des actions du Prophète. Il existe pour chaque hadith une liste des noms (isnad) de ceux qui l'ont transmis de génération en génération, remontant jusqu'au compagnon qui le tenait du Prophète lui-même. Pour les sunnites, ces chaînes de noms garantissent l'authenticité de ces hadith s. Après la mort du Prophète, chaque fois qu'il fallait trouver une réponse à une question religieuse ou juridique, on examinait avec soin le Coran et la Sunna pour y trouver une réponse. Cette démarche assure l'immense autorité dont le Prophète jouit dans l'islam, en particulier dans l'islam sunnite.

Six recueils de hadiths furent finalement considérés comme authentiques et acceptés par l'ensemble des musulmans sunnites comme faisant autorité et possédant un statut plus élevé que d'autres collections existantes. Ce sont les recueils d'al-Bukhari, de Muslim ibn Hajjaj, d'Ibn Maja, d'Abu Dawoud, d'al-Tirmidhi et d'al-Nasa'i, véritables textes canoniques pour les sunnites, dont l'autorité vient immédiatement après celle du Coran. Puisque l'enseignement du Prophète qui y est donné est d'inspiration divine, ces écrits sont tenus eux-mêmes pour une forme de révélation de Dieu. Aussi sont-ils traités avec un grand respect, faisant l'objet de somptueuses éditions manuscrites et imprimées. La majeure partie du monde musulman étant placée traditionnellement sous l'autorité des califes de Bagdad, le sunnisme finit par dominer les autres courants musulmans.

 

d) Le chiisme

Le chiisme est l'autre grand courant majoritaire dans l'islam. Plus exactement, le terme collectif de « chiisme » désigne plusieurs mouvements musulmans distincts représentant environ 10% du monde musulman. Sunnites et chiites différaient essentiellement dans leur manière de concevoir l'autorité légitime. Par la suite, cependant, les chiites développèrent des croyances religieuses différentes qui les séparèrent des autres musulmans.

Le mot «chiisme» vient de l'expression arabe chiat Ali, qui signifie «les partisans d'Ali». Ali ibn Abu Talib était le cousin et le gendre du prophète Mahomet, mari de sa fille Fatima. Après quelques luttes intestines au sein de l'islam, il devint le quatrième calife de la communauté musulmane après la mort de Mahomet. C'est par Ali seul que Mahomet a eu des descendants. Les chiites maintiennent donc que seuls les descendants directs d'Ali peuvent être califes, c'est-à-dire les successeurs de Mahomet et les dirigeants de la communauté islamique internationale, alors que selon les sunnites n'importe qui peut le devenir du moment qu'il en est jugé digne et qu'il est régulièrement élu. Telle est la grande pomme de discorde entre sunnites et chiites.

Les premiers chiites n'étaient pas d'accord entre eux sur les principes politiques de la nouvelle religion et notamment le mode de succession au califat. Ils étaient simplement liés par le soutien qu'ils apportaient à Ali en sa qualité de dirigeant de la communauté islamique, et par leur opposition à ceux qui, de leur point de vue, s'étaient révoltés contre lui. Après l'assassinat d'Ali en 661, certains chiites ont considéré ses différents fils comme ses successeurs de droit au titre de calife : si les descendants d'Ali sont devenus rivaux et que leurs adeptes chiites se sont divisés en fonction de leur choix, les chiites se sont cependant mis d'accord sur le fait que le califat devait rester aux mains de la dynastie d'Ali.

Alors que toutes sortes de notions religieuses ont été avancées par les chiites, quatre croyances principales ont été acceptées par tous : Ali a été choisi par Allah comme imam et dirigeant légitime du monde, tant musulman que non musulman. L'existence de l'univers dépend de la présence d'un imam vivant; tous les imams doivent être des descendants d'Ali; Ali et ses descendants imams possèdent des qualités surhumaines que les autres musulmans ne concèdent qu'aux prophètes, telles que l'infaillibilité, des pouvoirs miraculeux, et une connaissance accordée par Allah. Ces croyances représentent les piliers de la doctrine chiite de l'imamat. Cette doctrine est restée centrale pour la plupart des groupes chiites jusqu'à aujourd'hui et contraste violemment avec la foi sunnite, qui considère que le dirigeant légitime de la communauté islamique est un homme ordinaire quoique exceptionnellement pieux et versé dans les sciences religieuses, élu par des hommes ordinaires. Signalons encore que le chiisme est dirigé par un clergé très hiérarchisé, à la différence du sunnisme qui n'a pas de clergé proprement dit.

Il existe différents groupes chiites qui, s'ils ne restent pas totalement isolés, sont suffisamment divisés pour que des sectes diverses se développent, adoptant différentes doctrines et pratiques religieuses. Certaines de ces sectes se sont séparées après des conflits concernant la succession et ont formé de nouvelles sectes, voire de nouvelles religions. Les différents groupes chiites pleurent aujourd'hui encore l'assassinat du calife Ali et de son fils l'imam Hussein. Ce deuil permanent explique sans doute pourquoi les femmes chiites sont vêtues de noir de la tête aux pieds.

De nos jours, nous l'avons dit, la grande masse de l'islam est sunnite. Seul un dixième environ du monde musulman est affilié à d'autres courants. La famille dissidente la plus importante est le chiisme dont nous venons de parler, qu'on trouve surtout en Iran, en Irak et, sous une forme très disséminée, dans certains autres pays comme, par exemple, le sud de la Tunisie.

 


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3-Janvier-2003, Rev. David Milette.