COMMENTAIRE SUR L'APOCALYPSE DE JEAN, par Dr. Wilbert Kreiss - index  COMMENTAIRE SUR L'APOCALYPSE DE JEAN, par Dr. Wilbert Kreiss - index


 

INTRODUCTION

L'Apocalypse est un livre que son auteur a destiné à sept Eglises situées en Asie Mineure (1:4). Ce sont les Eglises d'Ephèse, de Smyrne, de Pergame, de Thyatire, de Sardes, de Philadelphie et de Laodicée. L'apôtre Jean qui est en exil sur l'île de Patmos se fait des soucis pour elles. D'une part, elles sont menacées par de faux docteurs; d'autre part, elles doivent faire face à des persécutions qui iront en s'accroissant. Il s'agit donc de les exhorter, au besoin de les appeler à la repentance, de les affermir dans la foi et de leur montrer le prix glorieux de la persévérance.

Ce livre est éminemment pratique. Il est, comme tous les livres de la Bible, destiné à la lecture au culte, comme il le précise dès le début : «Heureux celui qui lit et ceux qui entendent les paroles de la prophétie et qui gardent les choses qui y sont écrites. Car le temps est proche» (1:3). Il est question dans ce verset de celui qui lit ce livre et de ceux qui en écoutent la lecture. Cela se passe normalement dans un culte. L'Apocalypse est aussi un livre éminemment liturgique. Il y est partout question de chants et de louanges, de cantiques que les anges et les bienheureux entonnent à la gloire de Dieu et de l'Agneau. Le lecteur est invité à fléchir les genoux à son tour et à adorer le Seigneur, en attendant le jour où il pourra le faire devant son trône.

L'Apocalypse est un livre mystérieux. Elle surprend et déroute avec ses visions de cavaliers, de trompettes, de coupes, de dragons et de bêtes. N'oublions pas que ses premiers lecteurs, ceux à qui elle était directement destinée, étaient beaucoup plus que nous familiers de ce style. La littérature apocalyptique juive qui foisonnait à l'époque séparant l'Ancien et le Nouveau Testaments les y avait habitués. Images, allégories, symboles, nombres y jouaient un rôle important. Bien que le fruit d'une imagination fébrile et d'une attente eschatologique maladive, désireuse de lever le voile sur ce qui attend le peuple de Dieu et l'humanité tout entière dans la fin des temps, ces ouvrages faussement attribués à des personnages bien connus de l'histoire du peuple de Dieu plongeaient leurs racines dans l'Ancien Testament. Il a plu à Dieu de se servir, pour le dernier livre de la Bible, de ce style appelé apocalyptique afin d'annoncer à son Eglise les choses à venir. L'Apocalypse de Jean porte l'empreinte de l'Esprit Saint. En effet, à la différence de la littérature apocalyptique juive qui cherche à déterminer les temps et les circonstances des derniers jours et le fait sous le nom de faux auteurs chargés d'accréditer leur contenu - d'où le nom de pseudépigraphes qui leur a été donné -, elle ne cherche pas à lever le voile ni à satisfaire la curiosité des hommes. Elle ne veut qu'une chose : exhorter à la vigilance, donner du courage et de l'espérance. «Voici, je viens bientôt» ne cesse de dire le Christ (2:16; 3:11; 22:7.12.20). Tout tourne autour de lui, l'Agneau de Dieu qui a accompli sa mission et qui, assis à la droite de Dieu, gouverne, protège et sauve son Eglise.

Si le style de l'Apocalypse n'est pas simple, il a le mérite d'être revêtu d'une grande puissance d'évocation qui frappe l'esprit, l'intelligence et le coeur du lecteur. L'interprétation n'en est pas toujours aisée. Elle est même parfois très difficile. Il est sage et honnête de reconnaître que, dans certains cas, elle reste tout à fait aléatoire et incertaine. Les règles suivantes s'imposent :

Comme on le voit, les thèmes sont les mêmes, repris et augmentés par les différentes visions, jusqu'au moment où Jésus-Christ reviendra pour achever son oeuvre. Ce plan montre à lui seul que le fameux «règne de mille ans» dont parle le chapitre 20 ne se situe pas chronologiquement après les visions des chapitres précédents, donc à la veille du retour du Christ, mais qu'il a en fait commencé depuis longtemps. Pas pour le monde, certes, mais pour les croyants!

On doit éviter dans l'interprétation de l'Apocalypse plusieurs écueils, notamment deux extrêmes. Certains commentateurs estiment qu'en fait l'Apocalypse ne prédit pas l'avenir, mais relate des événements du passé en les présentant sous la forme de prédictions. C'est ignorer le caractère éminemment prophétique de ce livre. D'autres, au contraire, pensent que tous les tableaux de l'Apocalypse concernent des événements qui se produiront à la fin des temps, juste avant le retour du Christ, des événements dont il faut encore attendre l'accomplissement. C'est oublier que la fin des temps a commencé depuis longtemps, depuis que le Christ est remonté au ciel après avoir accompli sa mission terrestre. D'autres enfin estiment que les prophéties de l'Apocalypse sont en voie d'accomplissement, mais commettent l'erreur, comme on l'a dit plus haut, de les faire se succéder dans le temps. Tel tableau, disent-ils, décrit un épisode de l'histoire du monde et cède la place au tableau suivant décrivant un nouvel épisode. Mais outre le fait qu'une telle interprétation ne tient pas compte du caractère cyclique des visions de l'Apocalypse, en quoi une telle succession de prédictions aurait-elle pu consoler les chrétiens de l'époque malmenés à cause de leur foi?

Chacune de ces interprétations aborde l'Apocalypse d'une façon unilatérale et exclusive et ne tient pas suffisamment compte de son genre littéraire. Chacune contient une part de vérité, mais une part seulement, et ne rend pas, en raison de son exclusivisme, justice à la vérité dans son ensemble. Ce livre plonge manifestement ses racines dans l'histoire de l'époque, puisqu'il a été écrit pour encourager et consoler ses destinataires qui étaient des chrétiens vivant en un lieu et un temps donnés. Et en même temps il décrit l'histoire de l'Eglise et du monde en embrassant du regard toute la période séparant l'ascension du Christ de son retour en gloire.

Cela dit, l'Apocalypse est tout sauf un livre d'histoire. Elle reflète la lumière divine qui se projette sur toute l'histoire. Elle est un doigt que Dieu pointe pour montrer à ses enfants comment et où il les conduit. Peu importe alors qu'on comprenne ou non tous les détails de ses tableaux, l'essentiel est de savoir que l'histoire de ce monde et plus spécialement de l'Eglise est entre les mains de Dieu et de l'Agneau.

Nous avons dit que l'agencement des visions de l'Apocalypse était cyclique et non chronologique. Voici une analogie pour illustrer cela. Supposons que vous soyez au dernier étage de la Tour Eiffel ou de la Tour Montparnasse. Paris s'étend à vos pieds. Vous voyez la Seine enjambée par de nombreux ponts, le carrefour de l'Etoile avec l'Arc de Triomphe, le Panthéon, Notre-Dame, le Dôme des Invalides, la Butte Montmartre, des boulevards et des avenues, des rues et des ruelles, des gratte-ciel et d'humbles maisons, les Tuileries et le Bois de Boulogne, des gares, des autobus et des voitures sans nombre, une foule de piétons semblables à de minuscules points noirs qui se déplacent, une ambulance qui file à toute allure, des pompiers qui éteignent un incendie, un accident de la circulation, etc. Vous embrassez tout cela du regard. Vos yeux voient tout à la fois, ou presque... Et voici qu'on vous demande de décrire ce que vous venez de voir, pour que des gens qui n'ont jamais mis les pieds à Paris puissent se faire une idée de cette ville. Il vous faut décrire une chose après l'autre, puis ordonner tout cela pour en donner une vue d'ensemble cohérente, de façon à ce que vos lecteurs sachent à quoi ressemble Paris. Qu'allez-vous faire? Par où allez-vous commencer? Par quoi finirez-vous? Et comment relierez-vous ces différents tableaux entre eux pour en donner une vue d'ensemble? Vous allez sans doute commencer de la façon suivante: «Arrivé là-haut, j'ai vu d'abord... Puis, en tournant un peu la tête, j'ai aperçu... A ma gauche, on pouvait voir... Derrière moi, il y avait...». Ne pouvant pas décrire tout le panorama en une seule fois, vous allez le morceler, le sectionner et décrire successivement, l'une après l'autre, des choses que vous avez vues au même moment.

C'est un peu ce qui s'est passé avec Jean. Il faut savoir cela, sinon on ne peut pas interpréter l'Apocalypse correctement. Jean introduit ses visions en écrivant: «Après cela, je regardai» (4:1; 7:9), «Après cela, je vis» (7:1), «Puis je vis...» (5:1; 13:1.11; 15:1; 21:1), «Puis un des sept anges...» (21:9). N'allez surtout pas en conclure que ces différentes visions se sont successivement présentées au regard de Jean! Ces expressions n'affirment pas un déroulement chronologique des événements. Jean est «saisi par l'Esprit», dans la sphère de l'Esprit, en dehors des limites de l'espace et du temps. Il est dans la sphère ou dans le monde de Dieu. Il voit tout en dehors du temps et de l'espace. Mais quand on lui demande de raconter ce qu'il a vu, il doit quitter la sphère de Dieu et rentrer dans celle des hommes pour raconter une chose après l'autre. Les indicateurs chronologiques tels que «puis», «ensuite», «après cela» marquent une succession dans la description de ce que Jean a vu, mais pas dans les choses mêmes qu'il a pu voir! N'oublions jamais cela!

Le lecteur attentif notera l'existence fréquente dans l'Apocalypse d'expressions telles que «Je fus saisi par l'Esprit» (1:9; 4:2), «Il me transporta en esprit» (17:3; 21:9). Cela signifie que pour recevoir ces révélations, Jean entrait dans la sphère de l'Esprit Saint. Il était contrôlé par lui. Il voyait alors des choses que l'homme ne peut pas voir en temps normal. Dieu lui donnait en quelque sorte des lunettes divines, et c'est inspiré par le Saint-Esprit que Jean a pu nous raconter ce qu'il a vu. L'Apocalypse est révélation divine, Parole de Dieu au sens le plus strict du terme.

Précisons aussi que l'Apocalypse est un livre éminemment liturgique. Dans toutes les visions paraissent des choeurs célestes, formés des anges et des archanges, de vieillards représentant les prophètes, les martyrs et tous les saints, ceux qui sont déjà parvenus dans la gloire et ceux qui luttent encore dans ce monde en attendant leur délivrance finale. Ils entonnent des cantiques à la louange de Dieu et de l'Agneau immolé, célèbrent leur Seigneur et leur Roi et chantent sa gloire. Divine liturgie dont tout culte sur terre devrait être un reflet pâle et bien modeste, certes, mais réel et authentique!

Qui a écrit l'Apocalypse? «Jean», nous répond-elle elle-même (Apocalypse 1:1.4.9; 22:8). Quel Jean? Pas de réponse à cette question-là, en tout cas pas dans l'Apocalypse. L'Eglise primitive a reçu ce livre comme un écrit de l'apôtre Jean dont on sait qu'il a exercé son ministère en Asie Mineure, plus précisément à Ephèse. Le Père de l'Eglise Irénée, né tout au début du II siècle et martyrisé en 202, affirme qu'il fut écrit par l'apôtre Jean sous le règne de l'empereur Domitien (81-96 ap. J.-C.) (adv. Haereses V, 30,3), sans doute vers 95 ou 96. Il semble que, plus que les autres empereurs de Rome, Domitien ait exigé qu'on lui rende un culte et le vénère comme un représentant des dieux sur la terre, et que le culte impérial ait eu tendance à s'imposer dans cette province de l'empire. D'où les difficultés croissantes que rencontreront les chrétiens et la nécessité de les fortifier dans la foi, pour qu'ils renoncent à toute forme de compromis avec le paganisme ambiant.

Il y a déjà eu dans l'empire romain des martyrs de la foi, notamment à Rome même, sous le règne de Néron (54-68 ap. J.-C.), mais les persécutions n'ont pour l'instant, du moins en Asie Mineure, rien de systématique. Elles sont encore sporadiques, en attendant l'heure où elles se généraliseront. Cependant le danger pour les chrétiens de se compromettre, de renier leur foi en s'efforçant de combiner christianisme et paganisme, est grand. Assez grand pour qu'il faille mettre en garde les uns et consoler les autres. C'est tout le but de l'Apocalypse. Ce livre figure dans les plus anciens canons de l'Eglise, tel que le canon dit de Muratori, de la fin du II siècle. Il est par ailleurs attesté par Justin Martyr (Dialogue avec Tryphon, 81,15), Hippolyte, Lactance, Clément d'Alexandrie, Origène et d'innombrables Pères de l'Eglise qui tous l'attribuent à l'apôtre Jean. Par la suite, l'Eglise orientale émit pendant quelque temps des doutes sur son origine apostolique, essentiellement du fait que certains se fondaient sur elle pour propager une erreur, la doctrine du millénialisme, de l'instauration à la fin des temps d'un règne terrestre du Christ censé durer mille ans. Mais ces doutes finirent par être surmontés. Depuis, l'affirmation que l'Apocalypse est l'oeuvre de l'apôtre Jean fait partie de la confession de foi traditionnelle de l'Eglise chrétienne. Nous n'avons donc aucune raison d'en douter.

 


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13-février-2001, Rev. David Milette.