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L'EUTHANASIE

Jusqu'à présent, il a été question de théologie pastorale, du comportement à adopter et de l'aide spirituelle à apporter aux grands malades, aux mourants et aux familles en deuil. Nous ne pouvons pas terminer cette étude sans aborder un problème d'éthique qui est de plus en plus d'actualité, l'euthanasie. Vaste sujet qui mériterait d'être abordé sous ses différents angles, notamment sous son aspect médical et juridique. Nous nous contenterons d'une approche biblique du problème, et là aussi nous devrons nous contenter d'aller à l'essentiel, sans entrer dans tous les détails. Nous laisserons notamment aux médecins, seuls qualifiés en la matière, le soin de proposer une définition scientifique de la mort et tenterons de répondre à deux questions : Qu'est-ce que la vie ? Que faut-il penser de l'euthanasie ?

 

Qu'est-ce que la vie ?

A cette question non plus nous ne proposerons pas de réponse scientifique. Nous n'en avons pas la compétence. Par contre, nous sommes en mesure et nous nous devons de rappeler ce que l'Ecriture Sainte nous dit à ce sujet. Nous le ferons à la lumière des trois articles du Credo, de notre confession de foi en Dieu Père, Fils et Saint-Esprit.

1) La vie et la mort dans l'optique de la création :

Dieu a créé les hommes pour qu'ils vivent et non pour qu'ils meurent. La mort ne faisait pas partie de son plan. Elle est et demeure salaire du péché, et en ce sens l'homme ne peut pas, quoi qu'on en dise, « mourir dans la dignité ». La mort est la négation même de ce que Dieu a offert à l'homme en le créant. S'il ne s'était pas rebellé contre son Créateur, elle n'existerait pas et il n'aurait pas à lutter contre ce grand et dernier ennemi 31.

Dieu a insufflé à l'homme son souffle de vie 32. C'est pourquoi la mort est plus que l'arrêt du coeur et donc de la circulation sanguine, plus aussi que la cessation des fonctions vitales ou qu'un coma, même irréversible. On parle volontiers de nos jours de « mort cérébrale », d'encéphalogramme plat permettant de constater que le cortex est détruit de façon irréversible. Mais définir la mort de l'une ou l'autre de ces façons, c'est considérer l'homme comme faisant simplement partie du monde animal, en ignorant sa spécificité, ce que Dieu lui a donné de particulier en lui insufflant son souffle et en le créant à son image. Mourir, c'est pour l'homme - et en cela il est radicalement différent de l'animal -, rendre son esprit 33 qui retourne à Dieu qui l'a donné 34. Quelle que soit la définition qu'on en donne, la mort est toujours une défaite. Elle s'inscrit en faux contre ce que l'homme souhaite et espère. Elle fait peur, même au croyant 35. L'apôtre Paul souhaitait quitter ce monde pour être auprès du Seigneur 36, mais il aurait préféré le rencontrer sans avoir à mourir 37. A la fin de sa vie, il savait que le moment de mourir était venu et que sa mort serait violente, celle d'un martyr 38. Il était prêt à mourir, mais à l'heure et de la manière choisies par Dieu. L'idée ne lui serait pas venue de se suicider comme Socrate et de saluer comme Sénèque dans le suicide une façon noble de mettre fin aux épreuves de la vie. Et pourtant la création tout entière attend la délivrance des enfants de Dieu 39. Mais pour que la mort soit délivrance, il a fallu l'intervention de Dieu, une victoire sur la mort que Dieu seul a pu remporter et qu'il est seul à pouvoir offrir à l'homme. Dans l'ordre de la nature, la mort est un ennemi invincible et redoutable.

2) La vie et la mort dans l'optique de la rédemption :

Dieu lui-même et Dieu seul a vaincu la mort méritée par l'homme en lui procurant la rédemption. Il a choisi de devenir lui-même le Rédempteur des hommes, en la personne de son Fils incarné. Pour cela, il a expié les péchés de ses frères en mourant pour eux, puis il est victorieusement ressuscité des morts et remonté au ciel où il s'est assis à la droite de son Père. Les souffrances du Christ sont rédemptrices. Sanctifiées par lui, elles ont aussi valeur de modèle. Elles ne sont plus d'office dépourvues de sens et inutiles. Le croyant peut même être appelé à participer aux souffrances de son Sauveur, voire à les compléter. C'est du moins ce que l'apôtre Paul disait de celles qui lui étaient réservées 40. Ce qui ne signifie pas pour autant que les souffrances des croyants aient valeur rédemptrice. On ne se rachète pas en souffrant. Pour cela, il a fallu les souffrances d'un autre, du Fils de Dieu incarné, seul Rédempteur du monde. Mais il existe une sorte d'identification du chrétien souffrant à son Seigneur, quelque chose qui l'aide à transcender la souffrance et l'agonie. Jésus n'a pas souffert pour permettre aux siens d'échapper à leurs souffrances, mais pour leur apprendre le sens de l'épreuve quand elle est prise en mains et sanctifiée par Dieu.

Jésus-Christ a guéri de nombreux malades et ressuscité des morts. C'était une façon de démontrer que la maladie et la mort, comme tout ce qui fait souffrir les hommes, sont contraires au plan originel de Dieu. Mais c'était aussi une façon d'attester qu'il a le pouvoir sur la maladie et la mort. Or la victoire finale sur la maladie et la mort prend place dans la résurrection. Le grain de blé doit pourrir pour revivre, car la vie que Dieu nous réserve n'est pas une simple « rallonge » de l'existence terrestre, fût-elle sans fin, mais une vie impérissable dans un nouveau ciel et sur une nouvelle terre. Ainsi, la guérison et une résurrection pour un retour provisoire dans la vie ne sont pas la dernière étape, mais tout au plus l'avant-dernière dans le plan de Dieu. Les malades que le Christ a guéris et les morts qu'il a ressuscités ont tous été « réunis à leurs pères » et attendent, dans la mesure où ils furent des croyants, le son de la dernière trompette.

La mort du racheté n'est pas une rupture. « Si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur, et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Soit donc que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur » 41. Nous nous couchons tous les soirs. Nous nous endormons et nous nous réveillons, identiques à nous-mêmes. Il en va de même de la mort. Celui qui se couche pour mourir est le même que celui qui se lève pour sa destinée éternelle dans la résurrection des morts. Quant aux croyants, leur mort est si peu mort que la Bible l'assimile à un sommeil 42. « Celui qui vit et croit en moi », dit Jésus, « ne mourra jamais » 43.

3) La vie et la mort dans l'optique de la sanctification :

La vie est sainte, car sanctifiée par l'Esprit Saint. Le chrétien ne s'appartient plus. Dieu l'a adopté et a fait de lui son enfant et l'héritier du salut éternel. Le Baptême fait d'un homme le temple de Dieu ou du Saint-Esprit 44. Dieu a mis dans le coeur des croyants les arrhes de son Esprit 45. Ce dernier est le gage de l'héritage qui leur est réservé dans le ciel 46. A l'heure de l'agonie, quand l'homme se situe dans cette sorte de « terra incognita » qui mène de la vie à la mort, où il est difficile de déterminer s'il est encore conscient de ce qui se passe autour de lui et peut encore utiliser ses facultés mentales, nous avons la promesse de l'Ecriture Sainte que le Saint-Esprit intercède pour lui en des soupirs inexprimables 47. C'est peut-être ce qui explique pourquoi des malades ressortis de leur coma se souviennent de certaines phrases prononcées par le pasteur ou un membre de leur famille qui priait à leur chevet, alors que de toute évidence ils avaient perdu toute activité consciente. Provoquer la mort d'une telle personne en communion avec son Père céleste par l'Esprit habitant en lui et intercédant pour lui auprès du trône de la grâce, constitue une intrusion sacrilège dans une relation sacrée qui subsiste manifestement au-delà des limites de la connaissance et de la perception humaines.

Même un infirme cloué sur son lit et incapable du moindre mouvement peut prier, élever vers Dieu des mains saintes pour lui apporter l'offrande de son sacrifice. Considérer une telle personne comme inutile et une telle vie comme dénuée de sens, c'est oublier tout le prix qu'elle a aux yeux de Dieu et ce qu'a de merveilleux l'offrande de ses prières. De telles prières sont le fruit d'une vie sainte parce qu'intimement et indissolublement liée à Dieu, même quand l'intéressé ne trouve plus ses propres mots pour les faire monter vers le trône de Dieu et que le Saint-Esprit est obligé de suppléer à ses déficiences.

Les vieillards, les grands malades et les infirmes sont hantés par bien des craintes. Mais ce qu'ils appréhendent plus que tout le reste, c'est la peur de la solitude et de l'abandon, la peur de se retrouver entourés d'appareils et d'instruments médicaux ultraperfectionnés, mais dans un désert humain où il n'y a personne pour écouter leur plainte, leur faire un sourire, leur dire un mot gentil, leur prendre la main, prononcer une prière. L'Eglise chrétienne a, dans ce domaine, une grande tâche à accomplir. Non seulement elle intercède tous les dimanches pour ceux qui souffrent de solitude, pour les malades et les mourants, mais elle est chargée d'un ministère de visite tellement noble que le Christ le mentionne dans sa description du jugement final : « Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous les avez faites » 48. C'est une responsabilité que les chrétiens peuvent assumer individuellement, mais elle peut l'être aussi par l'Eglise sous forme d'un programme de visites auprès de tous ceux qui souffrent et à qui une présence, une apparition souriante, un message ou une prière feraient tant de bien. C'est certainement un des plus beaux témoignages de foi qu'on puisse rendre aux chrétiens éprouvés et peut- être davantage encore au monde.

 

Que penser de l'euthanasie ?

Pour toutes les raisons que nous venons d'évoquer, l'euthanasie est une pratique inadmissible. Les progrès rapides faits par la recherche médicale et la mise au point de technologies nouvelles, ainsi que les forces qui sont à l'oeuvre dans notre civilisation et qui battent en brèche beaucoup de valeurs traditionnelles en exerçant d'énormes pressions sur l'opinion publique, font surgir d'innombrables questions auxquelles le chrétien doit s'efforcer de trouver des réponses conformes à la volonté de Dieu. Voici, pour l'aider dans cette tâche, quelques principes très simples :

1) L'euthanasie active, c'est-à-dire l'euthanasie au sens propre du terme, est le geste qui consiste à mettre fin par pitié à la vie d'un grand malade. Parce qu'elle est un geste qui tue, elle est par définition contraire à la Loi de Dieu. Cela concerne bien sûr aussi l'aide au suicide officiellement proposée aux malades qui lui déclarent vouloir « mourir dans la dignité » par le Dr. Jack Kervokian de Detroit aux Etats-Unis, ou pour laquelle un ouvrage paru en France a préconisé toute une série de recettes.

2) Dieu, le Créateur souverain, est seul à savoir d'une certitude absolue si une maladie est incurable ou non. Les exemples ne manquent pas de cas où les médecins étaient incapables de faire le moindre pronostic sur l'issue d'une thérapie. Certes, les progrès sont tels que la marge d'incertitude s'amenuise sans cesse, mais en dernière analyse Dieu est le seul à mettre fin à la vie d'un malade ou, au contraire, à pouvoir le guérir.

3) Quand les défenses naturelles que Dieu lui-même accorde au corps humain ne sont plus capables de préserver la vie et que les spécialistes de la santé que sont les médecins concluent que même le recours aux techniques les plus sophistiquées pour repousser la mort n'autorise plus aucun espoir d'amélioration, le chrétien peut avec une bonne conscience décider de « laisser la nature faire son oeuvre ». L'acharnement thérapeutique n'a plus de sens quand le malade est entré dans cette zone où il va passer de la vie à la mort. Quand la maladie a fait son oeuvre au point que l'issue normale est la mort plus ou moins imminente, la cessation de tout traitement ne peut pas être considérée comme une violation de la Loi de Dieu. Il existe des traitements indispensables, des traitements utiles et d'autres qui n'ont plus de raison d'être car ils sont devenus inefficaces et inopérants. Prolonger artificiellement la vie d'un malade revient à l'obliger à vivre au-delà des limites que Dieu a prévues pour lui avec les forces et résistances naturelles dont il l'a doté. Pour que la décision prise en ce cas soit respectueuse de la volonté de Dieu, il importe de consulter

4) Si la mort est inéluctable, il est légitime d'administrer tout analgésique susceptible de soulager le patient, au risque d'abréger sa vie. L'intention en effet n'est pas de mettre fin à son existence, de le faire mourir, mais de rendre son agonie supportable.

5) Toute personne humaine, quelle que soit sa condition physique ou sociale, et à quelque degré qu'elle soit diminuée et handicapée, doit être perçue, acceptée et traitée comme un être créé à l'image de Dieu. Aussi la dignité humaine ne s'évalue-t-elle pas selon des critères de santé et le personnel hospitalier ne devrait-il jamais considérer un malade comme un simple cas. Et encore moins le pasteur. Tous ceux qui l'entourent et prennent soin de lui doivent lui témoigner l'attention et la bonté auxquelles il a droit, même si le mal dont il souffre et incurable. Personne ne doit être traité en fonction de ses chances de guérison ou de son utilité dans la famille et la société, et encore moins en fonction de sa rentabilité.

6) La souffrance est l'intrusion dans la vie de quelque chose qu'on n'a pas voulu. Elle est à ce titre quelque chose de très négatif, mais elle fournit aussi aux chrétiens l'occasion de rendre un beau témoignage de leur foi et de leur amour. La façon dont une famille croyante et l'Eglise entourent un mourant et prennent soin de lui peut être une belle démonstration de ce que Dieu est capable de faire dans les coeurs par son Evangile. Leur foi et leur amour préservent aussi et sauvegardent la dignité du malade et l'aident à lutter contre ce sentiment de solitude qui fait que beaucoup de moribonds souhaitent qu'on en termine et qu'on les aide à mourir.

7) Les derniers instants d'une vie sont enrobés de mystère. Dans le cas d'un chrétien, il peut se passer entre son Dieu et lui, grâce à l'intercession du Saint-Esprit, des choses indicibles et éminemment sacrées dans lesquelles nul n'a le droit de mettre main.

8) La mort n'est pas un simple processus physique, mais un événement spirituel crucial qui engage l'être tout entier. L'Eglise chrétienne dispose des moyens de grâce pour aider ses membres à franchir le pas dans la confiance et la paix. Dans la mesure du possible, pasteur et médecin devraient se consulter de manière à ce que l'un et l'autre puissent apporter à un malade en phase terminale le secours et l'aide qui relèvent de leur compétence. L'administration de médicaments puissants devrait se faire de telle sorte que le pasteur puisse intervenir à des moments de lucidité qui permettent une cure d'âme efficace.

9) Une décision prise dans un domaine aussi complexe et délicat peut toujours s'avérer par la suite erronée et mauvaise, même si elle l'a été avec le souci de respecter la volonté de Dieu telle qu'elle s'exprime dans l'Ecriture Sainte. Elle est englobée dans ce cas dans la rédemption que le Christ a acquise par son sacrifice sur la croix. Le pardon divin est là aussi pour ce genre d'erreur quand elle lui est confessée dans la repentance et la foi. L'Eglise doit proclamer cette vérité pour aider ceux de ces membres qui sont régulièrement appelés à participer à des décisions de ce genre à surmonter d'éventuels sentiments de culpabilité et à trouver la paix dans l'exercice de leur profession.

10) Oui à l'attitude qui consiste à renoncer à tout acharnement thérapeutique et à « laisser faire la nature ». Non à l'euthanasie dans le sens où ce terme est couramment utilisé et telle qu'elle est pratiquée de plus en plus, clandestinement à défaut de l'être légalement. Dieu demande aux chrétiens qui portent dans ce monde le nom de son Fils de rendre un clair témoignage de leur foi. Cela concerne tous les aspects de l'existence humaine, y compris de graves questions d'éthique comme l'avortement ou l'euthanasie. Nous vivons à une époque de confusion générale où les grandes valeurs non seulement du christianisme mais tout simplement de la morale civile sont battues en brèche et où on tâtonne désespérément dans une nouvelle quête de la définition de la vérité et de l'erreur, du bien et du mal. Les chrétiens ont quelque chose de précis, de clair et de beau à dire. Il faut qu'on entende leur voix et que leur témoignage soit clair et fidèle, fondé sur la Parole éternelle de Dieu, seule norme de vérité et de justice.

 


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6-Octobre-2002, Rev. David Milette.